31 aout

Actes décoloniaux : critique, clinique et esthétique

Fernanda Negrete

Je suis honorée de l'occasion qui m'est donnée de partager avec vous mon travail psychanalytique dans plusieurs contextes et régions de l’hémisphère nord. Je suis basée à Buffalo, dans l'État de New York, à environ 6 heures de New York City et à vingt minutes des chutes du Niagara et de la frontière avec l'Ontario, au Canada. Je suis née et j’ai vécu jusqu’à 24 ans à Mexico, mais je réside et travaille à Buffalo en tant que professeur de littérature française depuis 2014, et dans le cadre du Center for the Study of Psychoanalysis and Culture, que je dirige depuis 2020. Comme vous pouvez l'imaginer, ce fut une année difficile pour commencer à diriger un centre (et un centre qui avait principalement organisé une série de conférences au cours de la dernière décennie), étant donné les restrictions matérielles très concrètes imposées par la pandémie de Covid 19 et le gel des fonds dans l'université. 

L'un des contextes dans lesquels je m'engage et introduis la psychanalyse est donc académique. Pendant le confinement, nous avons tous fait l'expérience d'un démantèlement de l'espace public en tant que lieu d'existence sociale, qui a été remplacé, du moins dans les institutions universitaires, par des écrans d'ordinateur pour des réunions virtuelles. Au même moment, le mouvement Black Lives Matter a été dynamisé aux États-Unis par les manifestations pour George Floyd, contre les brutalités policières et le racisme à l'égard des Afro-Américains, tandis que la violence domestique à l'égard des femmes atteignait des niveaux record dans le monde entier. Au Mexique ce problème était en 2020 l’objet des soulèvements contre le féminicide « Ni una mas » (« pas une de plus »), dont le nom provient d’un poème de l’écrivaine, psychologue, et militante pour les droits humains Susana Chávez, violée et assassinée en 2011 par étouffement. Le 9 mars 2020, quelques jours avant le confinement, les mexicaines ont fait une grève nationale pour rendre visible leur apport à l’économie du pays et pour exiger de vraies solutions au féminicide systématique et à la violence contre les femmes dans des contextes privés et publics. Partout les hôpitaux ont été submergés par des personnes ayant besoin d'oxygène supplémentaire. Puis la planète a atteint un record : la température la plus chaude jamais enregistrée depuis 1880, avec les températures de surface les plus élevées de l'hémisphère nord, tandis que l'extrême pauvreté a considérablement augmenté dans le monde. À travers ces différentes scènes, le terme « irrespirable » est apparu comme un signifiant insistant. Il y a urgence à développer des solutions face à une pandémie sanitaire qui touche tout le monde et qui dévoile l’impact de ce que les Nations Unies appellent « la pandémie évitable », pour parler des violences sexuelles et sexistes dans le monde, notamment à l'encontre des femmes, à côté de ce que l'on pourrait appeler une pandémie raciste, et des crises de la pauvreté et du changement climatique. J'ai trouvé là une occasion de réfléchir au sens des efforts collectifs tels qu’ils sont produits dans les institutions académiques, et de m'interroger sur la pertinence possible de la psychanalyse dans les années 2020 et au-delà. Deux choses m'ont semblé évidentes.

Tout d'abord, un cadre uniquement académique pour l'étude de la psychanalyse et de la culture est insuffisant et même inutile ; connaître son Freud et son Lacan pour faire carrière dans les sciences humaines, alors que l'état du monde et de sa propre vie restent intacts, est certes possible, mais on passe alors à côté de l'intérêt de considérer l'inconscient et la subjectivité. De la même manière, on peut devenir un expert d'Emmanuel Kant, de Marcel Proust, de Simone de Beauvoir, de Franz Fanon, de Clarice Lispector ou d'Edouard Glissant (pour ne citer que quelques figures de mon domaine d'études) et rester étranger aux expériences intimes que ces auteurs ont tenté de décrire, d'évoquer ou de conceptualiser, ainsi qu'à leurs effets (Dans son Séminaire 15, L'acte psychanalytique, Lacan commence par penser l'acte analytique et l'acte poétique en parallèle, en mettant en évidence le registre des effets : dans les deux cas « ça fait quelque chose ». Voir son séminaire du 15 novembre 1967.)  Pour le dire en termes lacaniens, les discours du maître et de l'université, où la lutte pour la maîtrise et le savoir objectif commandent le travail, perdent leur consistance dans des conditions irrespirables. Le dépassement d'une crise comme la pandémie sanitaire ne passe pas nécessairement par la restauration des modes de répression qui soutiennent le maître et l'université. Si le discours de l'hystérique est important pour insister sur ce qui ne marche pas et montrer l'inefficacité du maître, cette opération est également insuffisante pour que le symptôme bascule vers un acte de désir inconscient.

Deuxièmement, la compréhension d'un traitement psychanalytique qui privilégie en fin de compte la réussite d'un individu au sein d'une culture, ou dans lequel la découverte supposée d'un nouveau signifiant après un changement dans la relation du sujet à l'Autre ne conduit qu'à un peu moins de souffrance, ou à se sentir plus à l'aise dans sa propre peau, est une compréhension qui ne saisit pas ce qui est crucialement en jeu dans le désir, qui n'est pas orienté par les normes, les valeurs et les idéaux d'une quelconque culture ou par les croyances d'une quelconque civilisation. Il n'est pas simple de suivre et de faire une place au désir au-delà des limites fixées par les cultures et les civilisations. En d'autres termes, un engagement en faveur du désir humain au-delà des critères culturels et civilisationnels présuppose nécessairement un travail décolonial radical, au sens le plus intime du terme. Et nous pouvons considérer cette formulation dans l'autre sens. Le désir ne saurait être un compromis dans les limites du recevable entre pulsion et culture. La décolonisation ne peut avoir lieu sans embrasser le désir au-delà de l'ego, de la culture et de la civilisation. Mais soyons honnêtes : cela doit sembler assez déstabilisant et même rébarbatif pour beaucoup de gens. La force du désir ne peut être saisie qu'à travers les effets d'un acte inconscient qui ne peut passer par le langage, structure du lien social qui délimite la réalité partagée. A mon sens, la décolonisation ne peut aller très loin si l'on rejette le désir au-delà des limites du langage, et si le désir est conçu comme quelque chose pour soi, plutôt que pour l'humanité, qu’il faut concevoir en dehors des idéaux. La structure névrotique est particulièrement mal prédisposée à un tel projet puisque cette structure psychique elle-même est une solution pour couvrir le défaut de langage où le désir du sujet est effacé, tandis que l’ego parvient à s'inscrire dans une construction culturelle de la sexualité. L'échec de la réalité partagée à servir de support aux egos dans cette construction, en raison par exemple d'une pandémie mondiale inéluctable et d'une crise climatique palpable, confronte les névrosés aux concessions faites sur le désir.  

Au niveau macropolitique, pour reprendre les termes de Gilles Deleuze et Félix Guattari, il y a sans doute une différence importante entre les civilisations et les cultures qui imposent leurs modèles d'humanité à d'autres civilisations et celles qui subissent les effets violents de cette imposition. Parmi ces effets, on peut en citer un qui traverse transversalement les niveaux macro et micropolitiques, le « complexe d'infériorité », pour reprendre les termes employés, par exemple, par Octave Mannoni et par Franz Fanon dans sa critique de Mannoni et dans Peau noire, masques blancs. Nous savons que la construction idéologique d'un modèle dominant de pleine humanité qui ne s'applique pas en fait à tous opère également par le biais du genre. Cette distribution inégale du pouvoir qui établit des binarités - et le refus des explications scientistes et essentialistes qui justifient n'importe quel type de perspectives sexistes, racistes et xénophobes - sont nécessaires à l'effort décolonial, qui implique certainement un travail théorique et politique. Dans le même ordre d'idées, il est également urgent de continuer à analyser les dynamiques coloniales du sexe qui sont encore très répandues. Si les éléments coloniaux du sexe ne sont pas démantelés, le névrosé ne pourra pas sortir de la construction culturelle ou de ce que la métapsychologie du psychanalyste haïtien et québécois Willy Apollon appelle un montage qui continue à reproduire une violence contre le sujet en censurant le féminin dans chaque être humain, et donc à entraver le désir et à annuler le sujet d'une quête qui transcende ce montage culturel du sexuel. En 2021, lors d'un entretien commémorant le centenaire de l'ouvrage de Freud Psychologie de masse et analyse du moi, Apollon a déclaré à son interlocuteur :

WA : Il s'agit de repenser la psychanalyse à partir de l'humain et non pas à partir d'une certaine catégorie d'individus, les névrosés.

AM : Et comme vous l'avez dit, des névrosés occidentaux.

WA : Nous ne sommes pas sortis de la colonisation, nous avons simplement changé les formes de colonisation, ce que je refuse en tant qu'ancien colonisé.

Outre la différence d'hégémonie entre les corps, les groupes, les cultures et les systèmes de croyance, il existe deux autres différences qu'il me semble crucial de reconnaître pour entreprendre le travail décolonial qui ouvre un espace pour le désir au sens radical du terme. Ma position découle d'autres contextes non académiques dans lesquels je me suis de plus en plus engagée. L'un d'eux est sans aucun doute ma propre analyse en cours. Les autres sont ma formation avec les psychanalystes québécois du GIFRIC (Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et interventions cliniques et culturelles) et ma participation à l'un des projets du GIFRIC, l'École freudienne du Québec, qui est une école indépendante pratiquant la passe, introduite pour la première fois dans la psychanalyse par Lacan en 1967. C'est aussi, bien sûr, l'année où Lacan a enseigné son séminaire 15 sur l'acte psychanalytique. L'ÉfQ comporte deux passes : une passe à l'entrée, qui consiste à transmettre son expérience de l'inconscient sous transfert, par laquelle on entre dans l'École, et une passe conclusive, où, à la fin de l'analyse, le passant transmet un objet inconscient. Une passe réussie permet d'être nommé analyste de l'École. L'École soutient avant tout le travail des analysants vers la fin de leur analyse. Elle est organisée par des cercles régionaux qui s'étendent au-delà de la ville de Québec, et depuis cette année un cercle new-yorkais a commencé à prendre forme ; je suis devenue responsable de ses activités et de son lien avec l'École. Pour dire brièvement ce qui est en jeu dans ces passes, dans l'École et dans la fin de l'analyse, il s'agit de transmettre, au-delà du divan, au-delà de l’École aussi, les effets d'une rencontre avec le réel de l'inconscient.

Donc, comme je l'ai dit, il y a la différence entre les civilisations, les cultures et les groupes dominants et dominés, et il y a le fait que les dynamiques de domination ne sont pas répandues par hasard dans le domaine de ce qui est culturellement reconnu comme étant le sexe. Ce que j'ai découvert dans les contextes non universitaires que j'ai mentionnés, c'est que c'est une chose de devenir un porte-parole éloquent d'une critique ou d'une étude psychanalytique de la violence coloniale, et une chose très différente de se libérer, à un niveau intime, des valeurs coloniales qui sous-tendent les complexes de supériorité ou d'infériorité et les fantasmes de domination. Enfin, il est utile de souligner la différence profonde qui existe entre le fait de se détacher des valeurs coloniales dominantes et le fait de vivre une vie orientée uniquement par une esthétique qui soutient une dimension humaine de l'expérience au-delà des paramètres culturels et civilisationnels de toute nature. Ce dernier mode de vie ne vise plus à obtenir un peu plus d'espace pour la subjectivité dans le monde tel qu'il est.

Cette dimension, le niveau le plus profond de l'inconscient, a à voir avec ce que Lacan, dans le séminaire sur l'éthique, a désigné comme le champ de das Ding, qui se situe au-delà du principe de plaisir et qui est irreprésentable. Dans sa métapsychologie, Apollon propose que ce niveau de l'inconscient qui se trouve au-delà du site des pensées et des souvenirs refoulés qui pourraient éventuellement être rappelés ou parlés (ce niveau de l'inconscient est ce que Freud appelait le refoulement, qu'il considérait comme n'étant pas la totalité de l'inconscient. Voir « Refoulement » dans les OCF) ; il s’agit de ce qui est non seulement irreprésentable mais aussi inadressable (les niveaux de l'inconscient qu'Apollon distingue sont discutés dans un volume à paraître chez SUNY Press). Dès le début de la vie humaine, par le travail de la pulsion, cette Chose s'inscrit dans des systèmes spécifiques de l'organisme de l’enfant, les détournant de leurs fonctions habituelles au fur et à mesure que se sculpte un corps érogène. Ces inscriptions, ou lettres du corps, sont les traces d'une rencontre avec le réel, et dans l'analyse, elles se manifestent souvent comme des symptômes. Ce corps érogène est d'emblée exclu de ce qui est dit de l'enfant, puisque le corps de la pulsion n'est pas observable ou reconnaissable en tant que tel. Le stade du miroir décrit par Lacan est, comme il l'a souligné, un moment de méconnaissance et d'aliénation, où l'enfant identifie l'image que la mère regarde et à laquelle elle sourit dans le miroir. Mais il y a une partie de chaque être humain qui n'entre jamais dans le miroir ou le langage, et qui reste active dans le corps, sans pouvoir être adressée à l’Autre. Une analyse est un espace pour explorer les expériences de cette chose sans nom à l'œuvre dans le corps et, une fois que l'on en sait quelque chose, pour faire un choix sur la place que l'on va lui donner dans sa vie et dans le monde. L'esthétique comme seule orientation du désir me semble essentielle, quelle que soit la difficulté à penser et encore plus à accueillir ce qui dépasse la culture et la civilisation. Je suis convaincue que cela est plus que jamais d'actualité, après ce qu'Apollon a commencé à désigner à la fin des années 1990 comme la mondialisation : un moment où le choc des cultures et des civilisations dans la vie quotidienne sape les normes, les valeurs, les idéaux de chaque culture, ainsi que la crédibilité des systèmes de croyance qui les sous-tendent. C'est donc un moment où le cadre des nations, des cultures et des civilisations montre non seulement son incapacité fondamentale à soutenir le sens d'une humanité commune, mais est aussi manifestement inutile pour résoudre réellement les problèmes qui résultent de la subordination de l'humanité à la reproduction matérielle et idéologique. Concrètement, le patriarcat et le capitalisme alimentent ces modes de reproduction, perpétuant en même temps la reconnaissance inégale de la dignité humaine.

Alors que nous nous retirions, en 2020, de l'espace physique partagé de l'université, mon interrogation sur la pertinence de la psychanalyse aujourd'hui et dans le futur a pris la forme d'un podcast pour le Center for the Study of Psychoanalysis & Culture. Pour Penumbr(a)cast - The Other Scene, j'ai cherché des analystes et des théoricien.nes en exercice ayant une expérience personnelle de l'inconscient sous transfert. Dans une première série d'entretiens, j'ai demandé à des membres du GIFRIC d'expliquer un concept de la psychanalyse, d'autant plus que certains de ces termes ne sont pas familiers à un public non spécialisé. Mon but était de montrer le fondement et la justification de ces concepts dans l'expérience réelle plutôt que dans des tours d'éloquence impressionnants, tout en soulignant l'importance d'une éthique du désir décolonisé. J'ai également cherché à insister sur les expériences esthétiques avec les œuvres d'art en tant que sites d'émergence du sujet, plutôt que de la maîtrise. Cette approche s'est développée à partir de mon premier livre, The Aesthetic Clinic, sur la sublimation féminine à travers une série d'œuvres d'art in situ et d'écrits expérimentaux de femmes qui ont cherché à transmettre leurs rencontres avec le réel à leurs spectateur.ices et lecteur.ices par le biais d'actions créatives spécifiques. Par conséquent, dans une sous-série du podcast intitulée « Effets de l'œuvre d'art », j'ai invité des spécialistes de la littérature ayant une bonne connaissance de la psychanalyse à partager une expérience personnelle dans laquelle ils ont été émus, surpris, affectés, voire transformés par une œuvre d'art à n'importe quel moment de leur vie. Enfin, j'étais impatiente d'entendre parler - et de rendre audibles - les efforts d'intervention de la psychanalyse dans des situations et des communautés dont les difficultés concrètes sont incompatibles avec le cadre traditionnel d'un traitement analytique. Dans le podcast, cela a donné lieu à la sous-série « Nouveaux espaces psychanalytiques », avec des invités qui ont soit introduit ces possibilités pour des communautés marginalisées spécifiques (par exemple dans la zone rurale de Porto Rico après l'ouragan Maria en 2017), soit collaboré et étudié des cliniques gratuites dans le monde entier.  

Le podcast m'a permis d'articuler l'intérêt des étudiants de mon université pour la théorie psychanalytique à des enjeux cliniques, esthétiques et de justice sociale, et j'ai donc continué à le développer depuis le confinement. À l'automne 2021, cependant, j'ai repris les cours et les conférences en présence sont lentement revenues à l'université. Mais pour moi, et certainement pour de nombreux chercheur.ses et étudiant.es, cela ne pouvait pas signifier uniquement le rétablissement des activités sur le campus et le sentiment d'une vie de l'esprit qui peut se poursuivre sans interruption. L'enseignement du séminaire de troisième cycle « Decolonial Acts in Haitian Vodou, Psychoanalysis, and Art » (Actes décoloniaux dans le vodou haïtien, la psychanalyse et l'art) cet automne-là m'a incitée à rechercher parmi les étudiant.es de troisième cycle de différentes disciplines une approche des enjeux révolutionnaires et réels de la pulsion libre au-delà de la lutte pour la reconnaissance dans le vodou haïtien - en considérant son potentiel en tant que construction libidinale distincte pour ouvrir ses praticien.nes à un espace esthétique au-delà de la censure collective, et la relation de ce potentiel avec son rôle historique clé dans la révolution haïtienne, qui, comme nous le savons, a commencé avec les révoltes réussies des personnes asservies et des Marrons dans les cérémonies vodou. 

En 2000, Susan Buck-Morss a prouvé que Hegel avait, très concrètement, la révolution haïtienne à l'esprit lorsqu'il a conçu la dialectique du maître et de l’esclave. Pour Hegel, la figure de l' « esclave » s'affranchit de cette condition lorsqu'elle prend conscience qu'elle est un sujet et qu'elle n'est donc pas la propriété de quelqu'un d'autre. Et cette prise de conscience, sans qu'un autre puisse la reconnaître, est cruciale pour accéder à un pouvoir d'agir et d'intervenir dans le cours de l'histoire. C'est ce qui en fait un véritable acte de liberté. Une prière prononcée en créole par Boukman lors de la cérémonie du 22 août 1791 pour déclencher la révolution le dit bien : « Jetez le symbole du Dieu des Blancs qui nous a si souvent fait pleurer, et écoutez la voix de la liberté, qui parle dans notre cœur à tous ». Le soulèvement qui a déclenché la Révolution a impliqué les lwa, les esprits ou les voix d'un autre espace auxquels les corps de ses praticiens servent de réceptacles. Les implications frappantes qu'Apollon souligne en parlant du désir, de l'humain, du féminin, de la parole et de l'acte, ainsi que sa sensibilité à la crise de la mondialisation, remontent en fait à son travail sur le vodou haïtien, qui a précédé les projets qu'il développe au Québec depuis plus de quatre décennies. Sa monographie de 1976, Le vaudou : un espace pour les ‘voix’, s'appuie sur une exposition directe, un travail de terrain et des conversations avec différentes communautés et participant.es du vaudou haïtien. Cependant, il se concentre sur « une politique libidinale qui ambitionne une fidélité de la voix », qui, dans le vaudou, est une « altération du rapport de l'initié au langage et à sa propre voix », et qui est cruciale pour une théorie et une pratique de la psychanalyse qui s'intéresse à l'humain. Prêter l'oreille à la voix est peut-être le seul moyen de commencer vraiment à respirer et à modifier le monde à partir de ce souffle inouï.

 

Apollon, Willy, Le Vaudou : Un espace pour les "voix", Paris, Galilée, 1976.

L’universel, Perspectives psychanalytiques, Québec, GIFRIC, 1997.

Apollon, Willy et Alexander Miller. “‘The Human Remains To Be Discovered.’ An Interview with Willy Apollon.” Psychoanalytische Perspektiven 39.3 (2021).

Buck-Morss, Susan, Hegel et Haïti, Paris, Lignes, 2006.

James, CLR, Les Jacobins noirs, Paris, Amsterdam, 2017.

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TéLéCHarger

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