3 fev 2024

Des violences corrélées à la condition d’exilé.e.s au fondement des problématiques de santé mentale : expériences de non-accueil en France et traumatismes liés à l’émigration

Camille Gardesse 

Intervention à la Journée d’étude sur l’exil

Depuis 2015, dans le cadre de l’arrivée de personnes exilées dont de nombreuses demandent l’asile en France, les manifestations d’« une crise institutionnelle de l’accueil » (Akoka, Schmoll, 2018) ont été largement documentées par des chercheur.se.s et des observateur.trice.s.

Au cours de mes enquêtes sur les expériences résidentielles d’exilé.e.s, il m’est apparu que l’accès au soin en termes de santé mentale est une des problématiques majeures de cette crise de l’accueil. J’ai souvent rencontré des personnes qui souffrent de profonde détresse psychique, mais aussi nombre de travailleur.se.s sociaux.ales accompagnant des exilé.e.s dans des structures institutionnelles d’accueil racontent leur récurrente difficulté à proposer une prise en charge psychologique – voire psychiatrique – à des personnes qui en ont pourtant cruellement besoin. Ainsi, les situations de détresse psychique chez ces personnes sont fréquentes, alors même que ces problématiques ne sont pas – ou très peu - prises en charge par les dispositifs que l’État organise dans ce qui est nommé « politique d’accueil » en France. 

Dans ce contexte, c’est bien souvent la société civile, au travers de l’investissement d’associations et la mobilisation de bénévoles, qui pallie les carences de l’action publique. A Paris, depuis 2018, Médecins du Monde a mis en place une « permanence d’accueil et d’écoute psychologique et juridique » - appelée la permanence psy - dans le cadre de ses actions de veille sanitaire et sociale auprès des personnes exilées. Toute personne exilée, sans condition de statut administratif, peut s’y rendre et demander une consultation avec un.e psychiatre ou un.e psychologue, être reçu.e par un médecin généraliste, mais aussi, pour les questions administratives ou sociales, un entretien avec avec un.e juriste ou un.e chargé.e de mission. Depuis son ouverture, la permanence psy accueille autour de 400 personnes par an, et le nombre de consultations individuelles a augmenté entre 2018 et 2022 (de 252 à 420). Les taux de rendez-vous honorés sont particulièrement élevés pour un public en situation d’instabilité résidentielle et de grande précarité économique : en 2022, 740 rendez-vous ont été donnés et 425 ont été accomplis, soit 60%. 

Au sein de cette Permanence Psy, je mène depuis 2021 une enquête ethnographique, qui croise plusieurs méthodes sur un temps long. Elle repose très largement sur une posture d’observation participante – ou plutôt de participation observante - qui correspond à mon implication, en tant que bénévole, au sein de la Permanence Psy durant deux périodes de 5 mois : entre octobre 2021 et février 2022, puis entre octobre 2023 et février 2024. Pour compléter cette démarche d’observation, j’ai mené en 2021 - 2022 une série d’entretiens semi-directifs avec les salariés – coordinateur.trice.s, chargés de mission - et les bénévoles – médecins généralistes, psychiatres, psychologues, juristes - de la permanence psy et une série d’entretiens avec des personnes exilées, sur les raisons et le chemin qui les ont conduites à venir à la permanence psy. 

Alors même que les acteur.trice.s institutionnel.le.s de l’accueil n’envisagent bien souvent les problématiques de santé mentale de personnes exilées que comme celles provenant de traumatismes précédant leur arrivée en France, l’enquête montre au contraire que les conditions de non-accueil à Paris, institutionnelles et matérielles, sont des causes fondamentales de la souffrance psychique exprimée par les personnes qui viennent y consulter - c’est ce dont je vais vous parler dans un premier temps. Je reviendrai ensuite sur les effets de cette précarité sur les possibilités mêmes de soin de traumatismes antérieurs à l’immigration. Enfin, j’évoquerai les problématiques fondamentales de l’orientation des patients, à partir de la perm psy, vers le droit commun, pour mettre en exergue les déficits de l’action publique « d’accueil » en termes d’accès aux soins de santé mentale. 

  1. Les conditions de vie quotidiennes et les problématiques administratives : éléments fondamentaux des motifs de venue à la PP

Ce qui est mis en avant par les exilé.e.s pour expliquer les différents symptômes et troubles renvoie très directement aux expériences de non-accueil vécues à Paris (Gardesse, Le Courant, Masson Diez, 2022). Les entretiens menés avec les bénévoles médecins et thérapeutes, d’une part, et avec les exilé.e.s, d’autre part, révèlent ce qui est majoritairement abordé en consultation, en tout cas dans un premier temps mais parfois aussi sur un temps long, et ce sont largement des éléments liés à leurs conditions de vie en France et à leur conditions d’exilé.e.s en grande précarité.

Plusieurs dimensions de leurs expériences urbaines apparaissent, de manière entremêlée, comme génératrices d’anxiété :

  • Problématiques d’habitat : vulnérabilités résidentielles, insécurité physique et psychique 

Les problématiques d’habitat, ou plutôt de mal-logement, occupent une place centrale dans les souffrances psychiques des personnes qui viennent à la Permanence Psy. 

La majorité de ces exilé.e.s dorment à la rue, le plus souvent dans des campements collectifs mais parfois aussi dans des interstices urbains, cachés et isolés. Le passage par la rue est une étape quasiment incontournable pour de nombreuses personnes arrivant en particulier d’Afghanistan, du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie et demandant l’asile en France. La plupart de ces personnes venant à la PP sont à la rue depuis plusieurs mois - voire plusieurs années - et subissent une marginalisation spatiale et sociale des campements. Elles expliquent alors à quel point celle-ci, tout comme la vie à la rue, les fragilisent, tant au plan psychique que physique.

Par ailleurs, beaucoup des exilé.e.s qui viennent à la PP sont hébergé.e.s dans des structures institutionnelles collectives, (Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile - CADA ou Centre d’Hébergement d’Urgence - CHU ou de Réinsertion Sociale - CHRS) – souvent après avoir été plusieurs mois à la rue. D’autres encore sont hébergé.e.s par des tiers, ami.e.s ou membres de la famille plus ou moins scrupuleux.ses, d’autres dorment dans des squats collectifs, d’autres n’ont pas trouvé  d’autre solution que de louer des hébergements insalubres à des « marchands de sommeil ». 

Chacune de ces situations de « vulnérabilité résidentielle » (Bouillon et al., 2018) engendre des difficultés quotidiennes liées au manque d’intimité et de confort, à l’insécurité et à l’instabilité résidentielle que ces types d’habitat impliquent – autant de facteurs de détresse psychique. C’est le cas par exemple des problèmes de cohabitation qui se posent spécifiquement dans ces types d’habitat souvent collectifs et occasionnant une grande promiscuité.

  • Les mobilités quotidiennes en ville entravées : 

La problématique des mobilités quotidiennes est régulièrement génératrice d’anxiété : se déplacer en ville, notamment pour venir à la PP, est souvent associé à un sentiment de crainte, celle d’être contrôlé.e.s sans titre de transport. 

Par ailleurs, cette mobilité a un coût que les exilé.e.s, en grande précarité économique, ne peuvent souvent pas supporter. Pourtant, les personnes exilées en situation de grande précarité sont précisément contraintes à de multiples mobilités : elles doivent traverser Paris, voire l’Ile de France, pour se rendre à une convocation administrative, pour accéder à du soin gratuit ou à un hébergement ponctuel, ou encore pour travailler. Les emplois qu’elles trouvent sont la plupart du temps précaires voire non déclarés, et nécessitent des déplacements fréquents, parfois dans la même journée. 

  • Confrontation avec la violence des forces de l’ordre et dispersion constante dans l’espace public

Une autre expérience urbaine vécue régulièrement par les personnes exilées à Paris est génératrice de détresse psychique : il s’agit de la confrontation avec la violence des forces de l’ordre. C’est particulièrement le cas pour les nombreux.ses exilé.e.s à la rue. En effet, des policier.e.s interviennent quotidiennement ou presque pour empêcher leur installation dans l’espace public (Gardesse, Piva, Runet, 2022), alors même que celui-ci est précisément une ressource fondamentale pour elles et eux. 

Or le répertoire d’actions de la police repose sur plusieurs formes de violences, mis au jour dans le rapport du Collectif Accès au Droit (CAD) de novembre 2023. Parmi les 448 témoignages de violences policières recueillis pour le rapport du CAD, 88% relèvent d’évictions et de dispersion dans l’espace public. Du gaz lacrymogène est fréquemment utilisé pour disperser les exilé·es, qui sont régulièrement poussé·es, menacé·es voire frappé·es par les forces de l’ordre pour s’éloigner. Les personnes exilées racontent aussi comment la police les réveille en tapant dans leurs tentes, parfois tous les matins pendant des semaines, pour les faire déguerpir de l’espace public. Les processus de privation de sommeil sont également courants durant la nuit, avec des conséquences physiques et psychiques désastreuses pour les exilé·es qui ne parviennent pas à dormir plus de quelques heures. Les tentes, matelas et duvets, matériel sommaire permettant une forme d’installation et d’abri minimal pour passer les nuits, sont régulièrement détériorés par la police : 33% des témoignages recensés par le CAD rapportent des confiscations ou des destructions de biens matériels. Les violences mises au jour entre 2015 et 2023 dans ce rapport se situent à 79% dans le Nord-Est de Paris : la géographie qu’elles dessinent correspond bien à celles des campements de rue d’exilé.e.s depuis huit ans. 

De plus, pour celles et ceux dont la situation administrative les place dans l’irrégularité du séjour en France, la rencontre avec la police est d’autant plus crainte qu’elle peut se solder par une expulsion (Le Courant, 2022). Ces exilé.e.s vivent alors sous un régime de « déportabilité » (De Genova, 2010) qui vise surtout à les décourager de rester en France et qui a de fortes répercussions sur leur santé mentale. 

  • Procédures administratives, angoisses et éloignement

Enfin, on ne peut décorréler ces différentes expériences en ville des situations administratives des personnes exilées. Celles-ci déterminent en grande partie leur possibilité d’accéder ou non à un hébergement, mais aussi à un travail, ce qui peut leur permettre de trouver de meilleurs conditions résidentielles – et ainsi d’être moins soumis.e.s aux violences des forces de l’ordre. Fondamentalement, les procédures administratives dans lesquelles la grande majorité des exilé.e.s venant à la Permanence Psy est engagée sont hautement génératices de stress, d’inquiétudes et d’angoisses. 

Par ailleurs, parce qu’elles conduisent les personnes exilées à raconter dans le détail les violences qu’elles ont pu subir avant leur émigration - sans qu’un dispositif d’accompagnement psychologique ne leur soit proposé - ces procédures peuvent elles-mêmes provoquer des réminiscences de traumatismes. Loin de tenir compte des traumatismes des exilé.e.s et de la difficulté à les énoncer, produisent souvent leurs réactivations voire leurs renforcements. 

Ainsi, il est clair que les souffrances psychiques des exilé.e.s sont largement générées par les conditions de vie extrêmement difficiles auxquelles ils et elles sont exposé.e.s. Ainsi, comme le disent souvent les psychiatres et psychologues de Médecins du Monde : « On soigne des situations de maltraitance, mais eux ne sont pas malades : la plupart du temps on essaie surtout de colmater les situations intenables qu’ils vivent » (Véronique – bénévole, psychiatre, réunion 10 octobre 2023). Par ailleurs, ces situations mettent en exergue le courage et la persévérance dont les exilé.e.s doivent faire preuve pour « tenir bon » dans ces situations d’insécurité et d’incertitude.

  1. La grande précarité socio-économique empêche le traitement des traumatismes antérieurs à l’immigration

  • Prudence thérapeutique : ne pas (trop) ouvrir la boîte de Pandore 

Ces situations de grande précarité et d’expériences de non-accueil, non seulement créent de la détresse psychique, mais, en plus, mettent à mal la possibilité d’un traitement thérapeutique des traumatismes vécus avant l’émigration ou lors du trajet migratoire. 

Ce qu’expliquent tous les psys de la permanence, comme la majorité de celles et ceux que je rencontre en dehors, c’est qu’il est très difficile d’engager un « travail psychique de fond » dans les conditions de vie qui sont celles des exilé.e.s venant à la permanence, et donc très compliqué d’élaborer autour de symptômes de stress post-traumatiques. 

Certain.e.s psys estiment ainsi que cette grande précarité a pour conséquence que les exilé.e.s « ne sont pas encore dans le post-traumatique », moment qui permettrait précisément d’engager un travail psychique plus complet.

Les conditions thérapeutiques ne paraissent pas toujours réunies pour aborder un travail post-traumatique, et les bénévoles savent bien qu’une fois les personnes sorties des consultations, elles vont se retrouver dans des conditions très insécurisantes et peu contenantes. Les psys craignent que les personnes ne se retrouvent en grande fragilité psychique en dormant à la rue ou en n’ayant aucune possibilité de repli ou de repos, physique ou psychique. 

  • La récurrence de traumatismes lourds liés à des violences précédant l’arrivée en France 

Pourtant, la grande majorité des personnes exilées qui viennent à la permanence psy ont vécu des violences lourdes, dans leur pays d’émigration ou bien sur le trajet migratoire jusqu’à la France. La plupart du temps, ce sont ces violences ou des menaces pour leur vie qui les ont contraintes à l’exil. 

Beaucoup des exilé.e.s présent.e.s dans les campements de rue et à Médecins du Monde viennent d’Afghanistan. Les violences et injustices qu’ils et elles ont subies dans ce pays ont créé des lourds traumatismes, qu’ils et elles évoquent plus ou moins frontalement, au cours des consultations ou lors de discussions plus informelles. 

Beaucoup des personnes exilées venant à la permanence psy ont des traumatismes liées à la violence d’une dictature, celle des talibans, ou aux violences de guerre, comme au Soudan ou en Érythrée. Mais les histoires sont diverses : d’autres personnes, en particulier des femmes ou bien des personnes LGBTQ+, ont fui leurs pays parce qu’elles y étaient maltraitées physiquement ou menacées en tant que minorité. 

De plus, beaucoup des personnes exilées qui viennent à la permanence psy souffrent d’une culpabilité importante à s’être sorti.e.s de ces violences, à avoir fui les persécutions, d’autant que ça a souvent été en laissant derrière elles et eux des proches. Les parents évoquent très souvent leurs enfants restés dans le pays qu’ils ont quitté comme la plus grande de leur inquiétude. A l’inverse, les très jeunes personnes qui viennent à la permanence psy, les jeunes majeur.e.s de moins de 20 ans, ou même des enfants, évoquent avec angoisse la séparation et la situation de leurs parents, en particulier de leurs mères. 

  • Le soin psycho-social apporté à la permanence psy

Évidemment, il ne s’agit pas sous-estimer le travail psychique réalisé avec les psys dans cette permanence : ce n’est pas parce qu’il y a peu la possibilité de traiter profondément les SSPT que les consultations ne sont pas utiles en termes de santé mentale, bien au contraire. Elles permettent précisément de traiter la détresse psychique envahissante et invalidante dans laquelle sont pris.e.s les exilé.e.s qui viennent consulter : celle liée à leurs conditions de vie à Paris. Précisément, parce que les troubles anxieux et dépressifs sont largement générés par leurs situations d’exilé.e.s en grande précarité, le caractère collectif et pluridisciplinaire est fondamental dans le soin car il permet que la prise en charge psychologique soit accompagnée d’éléments de réponse administratifs et sociaux. 

La permanence psy s’apparente ainsi à un espace de soutien psycho-social, au sein duquel l’écoute active n’est pas seulement le fait des médecins mais aussi celle des juristes et des salarié.e.s de Médecins du Monde, qui proposent, dès le moment de la veille mobile, une première écoute primordiale. Par ailleurs, au plan clinique, ce n’est pas parce que certaines souffrances ne sont pas dites explicitement qu’elles ne sont pas soignées. 

Autrement dit, on peut supposer que le cadre même de la permanence psy, le temps d’hospitalité qu’elle permet, et le travail thérapeutique réalisé avec les psychiatres et psychologues, même s’il ne porte pas nécessairement sur les événements traumatiques ayant précédé l’arrivée en France, aident les patient.e.s à stabiliser leur état psychique et, ainsi, à aller mieux. 

  1. L’impossible orientation vers le droit commun : les déficits de l’action publique « d’accueil » en termes d’accès aux soins de santé mentale

  • Presque pas d’orientation effectuée par les membres de la PP, en dehors des urgences psychiatriques 

Si la permanence psy n’est a priori pas le lieu pour proposer du travail thérapeutique au long cours et un traitement approfondi de troubles de stress post-traumatique – ce n’est d’ailleurs pas dans cette optique qu’elle a été créée – elle pourrait être envisagée comme une étape dans un parcours de soins de santé mentale pour les personnes exilées. Mais force est de constater la grande complexité pour les membres de l’équipe, voire l’impossibilité, d’orienter les exilé.e.s vers d’autres structures de soin en santé mentale. 

Durant les mois d’observations passés à la permanence psy, aucune orientation vers un dispositif extérieur de soins en santé mentale n’a été faite, hormis très ponctuellement des accompagnements aux urgences psychiatriques de Sainte-Anne. Ce constat est confirmé dans les entretiens réalisés avec les psychiatres et psychologues en 2021 et 2022.

  • Des problématiques structurelles du soin en santé mentale mais aussi spécifiques aux personnes exilées

Plusieurs raisons sont avancées par les membres de la permanence psy pour expliquer l’absence d’orientations. 

Les structures classiques de droit commun que sont les CMP devraient être les principaux espaces vers lesquels orienter les patient.e.s après les premiers rendez-vous. Ils peuvent être ponctuellement joignables par certain.e.s, mais tous les membres de l’équipe s’accordent pour dire que le délai d’attente, très long, rendent dans les faits les orientations non opérantes. Or précisément, pour le public de personnes exilées en situation de grande précarité socio-économique et majoritairement en errance, la question de la temporalité du soin est fondamentale. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à la permanence psy, il n’y a pas de délai d’attente : une personne souhaitant être reçue en consultation peut l’être dans les jours qui suivent sa demande si elle est formulée durant une veille mobile, ou bien le jour même si elle se présente directement à la permanence psy. 

Par ailleurs, selon les observations des membres de l’équipe, les personnes travaillant en CMP n’ont pas toujours une formation ou une expérience suffisamment étayées pour accompagner des personnes à la rue et souffrant de psychotraumatisme. La possibilité d’orienter vers des praticien.ne.s en libéral est peu mobilisée : soit parce que les psys ne disposent pas de réseau vers qui orienter (c’est le cas en particulier de celles et ceux travaillant ou ayant pratiqué dans l’institution publique, celles et ceux qui travaillent en libéral ont davantage de réseau personnel) ; soit en raison du problème fondamental selon elles et eux de l’interprétariat. Au demeurant, cette problématique fondamentale de la langue se pose pour toutes les orientations potentielles, notamment vers les CMP ou aux urgences de Sainte-Anne. 

Conclusion 

Si les acteur.rice.s institutionnel.le.s ne conçoivent souvent les problématiques de santé mentale des personnes exilées comme provenant uniquement des traumas précédant l’immigration, l’enquête ethnographique menée au sein de la Permamence Psy de Médecins du Monde à Paris montre, d’une part, que les conditions de non-accueil sont des causes fondamentales des souffrances psychiques immédiates et que, d’autre part, elles ne permettent précisément pas de traiter les syndromes de stress post-traumatiques pré-existants à l’arrivée en France. Mise en perspective avec le problème structurel du peu de moyens de l’offre publique de soins en santé mentale et avec le faible investissement des politiques migratoires autour de ces enjeux, cette situation donne lieu à un véritable déficit d’accès aux soins pour les personnes exilées en situation de grande précarité, pourtant particulièrement vulnérables psychiquement. 

Dans ce cadre, la permanence psy de Médecins du Monde offre aux exilé.e.s la possibilité d’un temps et d’un lieu de repos et d’échanges sécurisés, tant aux plans psychique que physique. Au-delà même des consultations psy, très précieuses dans la possibilité de vivre avec - et de dépasser - différentes formes de détresse psychologique, l’espace créé a en lui-même des effets thérapeutiques, d’autant qu’il s’agit d’une population dont la souffrance est plus souvent psychosociale que psychiatrique. 

Camille Gardesse est Maîtresse de conférences Ecole d’Urbanisme de Paris – Laburba

Affiliée à l’Institut Convergence Migrations

Recherche-action avec la Permanence d’accueil d’écoute psychologique et juridique pour personnes exilées à la rue de Médecins du Monde

Références 

AKOKA Karen, SCHMOLL Camille, 2018, « Politique migratoire : l’irrationalité au pouvoir ? » Libération [en ligne], 16 janvier 2018. Disponible sur 

BOUILLON Florence, DEBOULET Agnès, DIETRICH-RAGON Pascale, FIJALKOW Yankel, 2019, Vulnérabilités résidentielles, Editions de l'Aube, Bibliothèque des territoires 

DE GENOVA Nicholas, 2010, « The deportation regime: sovereignty, space, and the Freedom of Movement, Theoritical Overview », in De Genova Nicholas, Peutz Nathalie, the Deportation regime : sovereignty, space and the freedom of movement, NC : Duke University Press, Durham

EINHORN Lou, RIVIERE Maud, CHAPPUIS Marielle, CHEVELLE Marie, LAURENCE Sophie, 2018, « Proposer une réponse en santé mentale et soutien psychosocial aux exilés en contexte de crise. L’expérience de Médecins du Monde en Calaisis (2015-2017) », Revue européenne des migrations internationales, vol. 34 - n°2 et 3 | 2018, pp. 187-203.

GARDESSE Camille, PIVA Annaelle, RUNET Pablo, 2022, « Des campements de rue à Paris entre 2015 et 2020 : invisibilisation et marginalisation des exilé·e·s », in GARDESSE Camille, LE COURANT Stefan, MASSON DIEZ Evangeline, L’exil à Paris, 2015 – 2020 Expérience migratoire, action publique et engagement citoyen, L’œil d’Or, Collection Critiques et Cités, Paris

LE COURANT Stefan, 2022, Vivre sous la menace, les sans-papiers et l’État, Seuil, collection La Couleur des Idées, Paris

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