13 et 14 novembre

COLLOQUE La Palestine et l'Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines

Colloque coorganisé par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (CAREP Paris) et la Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France.
Comité scientifique :
Henry Laurens et François Ceccaldi (Collège de France) / Salam Kawakibi et Leila Seurat (CAREP Paris).
  • Langues : anglais/ français /arabe
  • Date : 13 & 14 novembre 2025
  • Lieu : Collège de France, Amphithéâtre Marguerite de Navarre, 11 place Marcelin Berthelot 75005 Paris
  • Sur place : Entrée libre sans réservation, dans la limite des places disponibles & accès à la traduction anglais / français
  • À distance : Diffusion en direct sur YouTube (en anglais).

Argumentaire

Avec l’ouverture de la « question d’Orient » dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, la Palestine, qui dispose du statut particulier de Terre sainte, devient le lieu névralgique des relations internationales européennes.

Durant les décennies qui précèdent la Grande Guerre, les luttes d’influence entre les puissances européennes se multiplient, chacune se présentant comme la protectrice d’une communauté religieuse. Alors que la France et la Russie étendent respectivement leur influence sur les catholiques et les orthodoxes, les Anglais se présentent comme les protecteurs des juifs en Palestine. C’est dans ce cadre que s’inscrit le mouvement sioniste.

Si la France se voit reconnaître une primauté d’influence à l’issue des guerres balkaniques, les Britanniques profiteront de l’alliance nouée avec le mouvement sioniste lors de la Première Guerre mondiale pour s’arroger un mandat sur la Palestine.

La période du mandat britannique est essentielle pour la mise en place des acteurs contemporains que sont le mouvement national palestinien et le mouvement sioniste. Pris dans une double obligation entre les uns et les autres, les Britanniques sont dans l’incapacité de trouver une solution politique satisfaisante pour les deux parties, que ce soit un État palestinien unitaire, une division en cantons ou un partage territorial. Ils doivent ainsi faire face à une révolte palestinienne, puis à une révolte juive. Non sans arrière-pensées, ils délèguent le dossier à l’ONU qui, avec le vote du plan de partage de novembre 1947, provoque une guerre entre Arabes et sionistes, puis, après le 15 mai 1948, une guerre israélo-arabe.

Dans ce conflit de longue durée, les Européens s’identifient largement à l’État d’Israël. Dans les années 1950 et 1960, la France et l’Allemagne lui fournissent les armements qu’il demande, mais la priorité pour l’État hébreu est d’obtenir l’aide militaire américaine, qui ne devient substantielle qu’après la guerre de juin 1967.

Après cette guerre, les « discussions à quatre » voient un rapprochement des positions de la Grande-Bretagne et de la France sur la nécessité d’un retrait des territoires occupés contre une reconnaissance de l’État d’Israël, mais la question de la prise en compte du facteur palestinien reste ouverte. S’ouvre ainsi un dialogue euro-arabe. Ce dernier mènera à la résolution de Strasbourg de 1975, appelant Israël à se retirer des territoires palestiniens occupés et à reconnaître les droits nationaux du peuple palestinien, puis à une nouvelle déclaration en 1977 appelant à la création d’une patrie pour le peuple palestinien, et marquant pour la première fois l’opposition européenne à la construction de colonies israéliennes dans les territoires occupés. L’étape la plus importante demeure la déclaration de Venise du 13 juin 1980, qui parle de solution juste et préconise l’intégration de l’OLP dans les discussions de paix.

Deux niveaux d’action sont à considérer. Le premier est celui de la politique propre à chaque État, le second est celui de l’action collective de la Communauté, devenue Union européenne, le tout étant pris dans le jeu complexe des relations transatlantiques. De fait, la présence de l’Union est forte dans le domaine économique, aussi bien par le traité d’association UE-Israël, qui fait de l’État hébreu le premier partenaire commercial de l’Union, que par le financement des institutions palestiniennes à partir du processus d’Oslo. Néanmoins, l’Europe n’est que simple observatrice des négociations du processus d’Oslo, et si le « quartet » des années 2000 lui reconnaît un rôle, c’est dans un cadre impuissant à faire accepter une solution politique satisfaisante.

L’Europe est ainsi prise entre le poids de son héritage colonial et impérial, son identification culturelle avec Israël, la charge représentée par sa culpabilité dans la destruction des juifs d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, l’importance de ses relations économiques, technologiques et scientifiques avec l’État hébreu, la montée de l’indignation d’une partie de son opinion publique, marquée par l’accusation d’apartheid et aujourd’hui de génocide dans la guerre de Gaza.

La question est de savoir si les États européens vont, dans leur grande majorité, reconnaître l’État palestinien et exercer des pressions envers l’État hébreu, en particulier dans le domaine de l’économie, ou s’il s’agit là plutôt de faux-semblants destinés à masquer une impuissance, voire une adhésion, liées à leurs héritages historiques et à leurs engagements géopolitiques.

Il n’en reste pas moins que l’Europe, dans sa globalité, est un des grands théâtres d’affrontements du conflit israélo-palestinien, en particulier dans les opinions publiques. En un sens, c’est une bonne part de l’identité européenne qui est en jeu, aussi bien dans l’interprétation de son passé que dans la définition de son identité à venir.

Programme

JEUDI 13 NOVEMBRE

08h30 Accueil des intervenants

08h50 Allocution d’ouverture de Salam Kawakibi, Directeur du CAREP Paris
09h00 Introduction par Henry Laurens, Professeur au Collège de France
09h30 Note de synthèse d’Azmi Bishara, Directeur du Centre arabe de recherche et d’études politiques

10h00 Pause café

10h30 Panel 1 : Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale

Modération de Stéphanie Latte-Abdallah, CNRS

Dès les années 1830-1840, les projets coloniaux des Européens en « Terre sainte », à visée civilisatrice, ouvrent la voie à divers courants colonialistes,  notamment le sionisme. L’ambition de ce panel est de réfléchir à la nature du sionisme et son articulation aux projets expansionnistes européens du XIXe siècle. Comment faut-il comprendre le projet de Theodore Herzl ? Comment celui-ci a-t-il évolué pour se distancier du colonialisme européen ? Servait-il  l’intérêt des puissances européennes ?

Intervenants :
  • Rina Cohen-Muller, INALCO : Les Puissances européennes et la Palestine au XIXe siècle : émergence d’une entité politique ?
  • Lorenzo Kamel, Università degli Studi di Torino : Le sionisme, l’antisionisme et au-delà.
  • Michaël Séguin, Saint-Paul University : Pour une relecture décoloniale du récit de vie de Shimon Peres : pionnier sioniste ou colonisateur européen ?

12h00 Pause déjeuner

13h30 Panel 2 : Les Palestiniens sous mandat

Modération de Jihane Sfeir, Université libre de Bruxelles

Si ses velléités d’occupation sont anciennes, l’Angleterre n’intervient directement dans l’occupation de la Palestine qu’à partir de la Première Guerre mondiale. Ce panel revient sur l’époque où les Britanniques étaient « aux affaires » en Palestine et interroge la convergence d’intérêts entre l’impérialisme britannique et le mouvement sioniste. À partir de plusieurs lieux d’enquête – la Terre, les ressources, les populations, la coercition – il met en exergue le rôle concret des Britanniques dans la dépossession progressive des Palestiniens.

Intervenants :

  • Michael R. Fischbach, Randolph-Macon College : Comment le gouvernement britannique a facilité l’immigration juive et les achats de terres en Palestine ?
  • Elisabeth Davin-Mortier, École polytechnique de Lausanne : Penser la Palestine sous mandat à partir des techniques et des ressources : l’exemple du contrôle de l’eau.
  • Abdel Razzaq Takriti, Rice University : La trahison des intellectuels : l’académicide et le déclin de l’université occidentale.
15h00 Panel 3 : L’Europe institutionnelle, histoire d’une impuissance

Modération de François Ceccaldi, Collège de France

Depuis le traité de Rome signé en 1957, l’Union européenne se présente comme la garante du respect des droits humains et du droit international. Au-delà de cet affichage normatif, il convient d’analyser son rôle concret dans les processus politiques et diplomatiques en Palestine. Après un retour historique, revenant sur le contexte de création des institutions européennes, ce panel interroge l’élaboration des politiques par l’UE et ses effets sur les acteurs politiques palestiniens.

Intervenants :

  • Daniela Huber, Université de Rome III : De la Communauté européenne à l’Union européenne en Israël/Palestine : continuités et ruptures ?
  • Mandy Turner, Security in Context / International State Crime Initiative — Queen Mary University of London : La construction de la paix occidentale comme contre-insurrection en Palestine occupée.
  • Muriel Asseburg, Stiftung Wissenschaft und Politik : Une lecture critique des rôles de l’Union européenne en Palestine.

16h30 Pause café

17h00 Panel 4 : Vers une uniformisation des politiques étrangères européennes ?

Modération : Aude Signoles, Sciences Po Aix-en-Provence

Ce panel s’intéresse à la manière dont s’articulent les diplomaties à l’échelle communautaire et bilatérale. Il interroge l’impact des structures supranationales de l’EU sur les trajectoires nationales des différents pays européens et inversement. En filigrane, il entend contribuer aux débats autour de l’uniformisation des politiques étrangères européennes.

Intervenants :

  • Sinem Akgül Açikmeşe, Kadir Has University : Divisions internes et fragmentation régionale : la politique de l’UE face au conflit israélo-palestinien.
  • Omran Shroufi, Université Vrije de Bruxelles : L’évolution des partis d’extrême droite pro-israéliens entre 1979 et 2024.
  • Isaías Barreñada Bajo, Universidad Complutense de Madrid / Instituto Complutense de Estudios Internacionales : Entre soutien inconditionnel à Israël et reconnaissance de l’État palestinien : les divisions européennes et leurs impacts sur la prise de décision de l’UE.

VENDREDI 14 NOVEMBRE

8h30 Accueil des intervenants

09h00 Panel 5 : Passé colonial, poids de l’histoire et mobilisations pour la Palestine

Modération de Véronique Bontemps, EHESS

Le génocide des Juifs d’Europe est souvent mobilisé pour expliquer le soutien des pays européens à Israël. Tout en questionnant l’importance de ce facteur et en le mettant en perspective avec le passé colonial européen, nous interrogerons l’importance de l’appui exponentiel à la Palestine au sein des sociétés, dans la formulation des politiques étrangères européennes.

Intervenants :

  • Gilbert Achcar, SOAS, University of London : De l’instrumentalisation de la Shoah dans le déni de l’affliction palestinienne.
  • Alvaro Oleart, Université Libre de Bruxelles : L’imaginaire colonial de « l’Europe » dans le soutien de l’UE à Israël et à la déshumanisation des Palestiniens.
  • Sune Haugbølle, Université de Roskilde : L’émergence de la Palestine comme cause globale et ses échos contemporains.

10h30 Pause café

11h00 Panel 6 : Réseaux d’influence et intérêts économiques

Modération de Leila Seurat, CAREP

Ce panel examine les enchevêtrements complexes et multiformes entre l’Union européenne, ses États membres et Israël. La discussion explore les pratiques spécifiques qui contribuent à la perpétuation de l’occupation mettant au jour différents réseaux d’acteurs. Il s’agira d’abord d’examiner la place des groupes de pression pro-israéliens au sein des institutions de l’UE et leur rôle dans l’élaboration des décisions du Parlement et de la Commission. L’analyse portera ensuite sur les circuits liés au commerce des armes et des technologies de surveillance ainsi que sur la présence d’entreprises européennes dans les territoires palestiniens occupés.

Intervenants :

  • Benedetta Voltolini, Kings College London : Lobbying et politique étrangère de l’UE face au conflit israélo-palestinien.
  • Shir Hever, Alliance of Justice between Israelis and Palestinians : Israël et l’Union européenne dans l’industrie mondiale  de l’armement et de la sécurité.
  • Clara Denis Woelffel, UQàM (Montréal) / CERMOM : État des relations commerciales entre entreprises françaises et israéliennes en Cisjordanie : entre intérêts économiques et complicité coloniale.

12h30 Pause déjeuner

14h00 Panel 7 : Silencier les voix palestiniennes

Modération d’Alain Gresh, Orient XXI

L’année 2023 marque un tournant dans la répression des voix en faveur de la Palestine. Tout en réinscrivant les dynamiques actuelles dans les trajectoires historiques de plusieurs pays européens, notamment la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ce panel entend donner sens à la rupture du 7 octobre, en analysant l’évolution des outils de répression aussi bien sur les plans coercitifs que sémantiques. Comment s’organise la répression y compris à l’échelle transnationale ? Quelles sont les cibles et les arguments utilisés ? Il conviendra également d’inscrire ces dynamiques dans d’autres formes de répression politiques.

Intervenants :

  • Thomas Vescovi, EHESS / Université libre de Bruxelles : Médias et diplomatie publiques israéliennes, les fondements d’un parti-pris illustré par le traitement de la guerre à Gaza.
  • Hanna Al-Taher, TU Dresden / Queen Mary University, London : Résister à l’idée de l’impossible Palestine.
  • Omar Jabary Salamanca, Université libre de Bruxelles : Quand les masques tombent : l’université européenne à l’époque des monstres.
15h30 Panel 8 : Les responsabilités de l’Europe : de l’échec d’Oslo à la destruction de Gaza

Modération de Emilio Dabed, York University, Toronto

Ce dernier panel dresse un cadre épistémique qui permet de montrer comment l’Europe a mis en échec la solution à deux États. Contournant perpétuellement les règles pourtant édictées par leurs propres institutions, les dirigeants européens ont directement porté atteinte à leurs principes servant des intérêts particuliers plutôt que celui des États membres et des acteurs de la région. Cet écart entre le dire et le faire amène aujourd’hui aux accusations de complicité dans le génocide, l’UE ayant échoué à répondre de manière adéquate aux avis des deux cours internationales de justice.

Intervenants :

  • Andrea Teti, Université de Salerne : Le coût de l’alignement : comment la politique de l’UE à l’égard de la Palestine condamne la paix et fragilise l’état moderne.
  • Sonia Boulos, Nebrija University / CEARC : De la rhétorique à la complicité : l’Europe et la crise du droit international à Gaza.
  • Dimitris Bouris, Université d’Amsterdam : L’Union européenne et l’assassinat de la solution à deux États.

17h00 Pause café

17h30 Débat de clôture : Comment la question de Palestine transforme-t-elle l’Europe ?

Modération d’Agnès Levallois, iReMMO

Intervenants :

  • Josep Borrell, Président du CIDOB et ancien Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi qu’ancien vice-président de la Commission européenne.
  • Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.
  • Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans le territoire palestinien occupé depuis 1967.

Téléchargez la retranscription en cliquant sur le lien ci-dessous :
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