3 fev 2024

Le dispositif « Perm psy » de Médecins du Monde

Françoise Labes

Intervention de Françoise Labes à la Journée d'étude sur l'exil

Nous avons l’habitude d’appeler le dispositif que nous allons tâcher de vous présenter dans sa complexité la « Perm psy »

Il s’agit d’une permanence dite psycho-sociale organisée tous les mardis après-midi dans les locaux de Médecins du Monde à Paris.

Elle mobilise 3 salariés de MdM  dont le coordinateur de la mission et jusqu’à 12 bénévoles, 2 ou 3 ou 4accueillants, 2médecins généralistes, 7 psychiatres ou psychologues (pour nous la distinction est peu opérante sauf si se pose la question d’un traitement chimique) et depuis environ un an une permanence juridique bénévole avec une juriste de l’association Droit d’urgence et un ou une avocat.e. du Barreau de Paris solidarité, tous spécialistes du Droit des étrangers.  Nous sont adjoints des interprètes en présence, rémunérés par MdM et c’est un des aspects essentiels du dispositif. Ils peuvent intervenir pour les langues parlées en Afghanistan (pachto dari et donc aussi le farsi, l’arabe, les langues parlées en Ethiopie et Erythrée (oromo amaric) voire l’Ourdou

Pour le reste nous nous débrouillons avec l’anglais et nous avons bien sûr des patients francophones venant du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne. Nous avons toujours la possibilité de solliciter des interprètes par téléphone auprès d’ISM 

Cette permanence  fait partie d’une mission plus large de MduM Paris et s’adosse à la Veille Sanitaire Migrants qui, plusieurs fois par semaine, effectue des maraudes en rue ; originellement les maraudes concernaient les grands camps de migrants tels qu’on ne les voit plus. Actuellement ces équipes- où l’on retrouve nos jeunes salariés évoqués plus haut, et des bénévoles : médecins  généralistes (dont deux interviennent aussi à la perm psy) infirmières accueillants et  interprètes-rémunérés - maraudent dans les lieux ou l’on retrouve les personnes antérieurement rencontrées dans les campements. Beaucoup autour du Métro La Chapelle et il serait trop long d’énumérer les autres, d’autant que du fait des politiques actuelles, a fortiori dans la perspective des jeux olympiques  il y a beaucoup de dispersions, de « mises à l’abri »

Notre action s’inscrit donc dans un contexte dont on ne peut absolument pas faire fi, celui d’une clinique de la grande précarité organisée par les conditions de non accueil. L’état français ne respecte pas les traités internationaux qu’il a signés, à commencer par ceux qui organisent le Droit d’Asile. C’est pourquoi j’ai demandé à Camille Gardesse, sociologue, urbaniste, Maîtresse de conférences à l’école d’urbanisme de Paris, Co responsable de l’Axe inégalités du Laburba , affiliée à l’Institut Convergence Migrations, d’introduire mon propos

Camille mène depuis plusieurs années maintenant, une recherche sur notre dispositif. Elle a une position d’observation  participation, puisqu’elle est aussi bénévole, et est à même de nous parler de l’organisation de ces formes de vie, au sens où Didier Fassin l’entend, en écho aux travaux de Wittgenstein et repris par Veena Dass 

Pour éviter la confusion systématique et symptomatique des termes indifféremment employés, le plus souvent à tord, migrants réfugiés, demandeurs d’asile, j’emprunte à Karima Lazali le beau terme de chercheurs de refuge.

La dimension collective étant une des données primordiales de la possibilité du soin psychique à la Perm Psy je dirai nous, mais mon propos n’engage que moi dans la mesure où il s’agit de ma propre tentative de théoriser le dispositif. Et pourtant j’engage aussi le Collectif et l’association puisque je suis, pour raisons de commodité, responsable de mission bénévole

C’est donc pour l’essentiel dans le cadre le la Veille sanitaire que les patients nous sont non simplement adressés mais quasiment amenés. Lors de ces maraudes les collègues (nous appelons collègues  tous ceux qui interviennent dans le cadre de la VSPP sans distinction de statut ou de fonction) peuvent constater  des modalités symptomatiques les amenant à proposer un rendez-vous dans notre espace. Avec plutôt un présupposé psychiatrique pour les soignants bénévoles qui ne participent pas à la Perm psy , avec le repérage d’une souffrance psychique , d’un besoin de prise en charge et d’écoute spécifique pour ceux avec qui nous travaillons de façon plus étroite. 

Quand ce n’est pas sur la proposition de la Veille, les personnes que nous recevons sont adressées par des partenaires associatifs, par d’autres chercheurs de refuge par des avocats …en tout cas il y a toujours une adresse inscrivant la rencontre dans un dispositif relationnel, voire de transfert de travail ou de transfert tout court. Les personnes retrouvent souvent en arrivant tel ou tel croisé lors des maraudes, salariés, médecins, interprètes.

Sans hospitalité minimale, le chercheur de soins, d’aide sociale ou de refuge, aussi solide et armé soit-il, risque de glisser vers une perte d’espoir, de confiance en son environnement et en lui-même, confinant rapidement à une symptomatologie pouvant en imposer pour une pathologie psychiatrique structurale quand il s’agit en fait d’une réaction humaine normale à une situation intolérable.

Nos patients sont multi traumatisés,( traumatisme du vécu au pays que l’on a été contraint de quitter, traumatismes multiples du parcours) Quand ils sont confrontés, dans le pays qu’ils espèrent être le pays d’accueil, le lieu du refuge, à ce que l’on peut appeler des violences administratives,( la première étant le non respect du droit européen sur l’asile et ses conditions matérielles) le traumatisme initial est démultiplié.

La clinique du psycho-trauma qui est celle que nous rencontrons le plus souvent, a pour caractéristique essentielle l’écrasement des possibilités pour le sujet de croire en la sécurité et la pérennité du lien, le rapport à l’autre étant désormais empreint de défiance et de peur.

Si la rencontre avec les autres censés accueillir et protéger est le lieu de l’incompréhension donc du rejet (et il faut noter ici l’importance de la présence d’interprètes) il y a répétition dramatique du vécu traumatique et inflation des symptômes.

La clinique de la grande précarité à laquelle sont généralement assignés nos patients, nous apprend par ailleurs comment un humain sans pathologie préexistante peut se retrouver dans un état de déréalisation avec perte des repères temporels et isolement radical pouvant en imposer par exemple pour une schizophrénie.

Le non accueil, le rejet, le maintien à la rue, fabriquent la folie et possiblement la violence.

Les patients que nous recevons sont rarement des personnes présentant une structure psychique pathologique préalable à l’exil.

Ils sont malades de l’inhumanité…inhumanité des bourreaux au pays, des passeurs, des esclavagistes dans les pays traversés, des tortionnaires en Lybie, de la cruauté des policiers bulgares et des crocs de leurs molosses, mais aussi celle de l’indifférence des administrations, des regards de mépris de haine des passants, des brutalités policières, de la  surdité à la légitimité de leur demande, à la véracité de leur récit.

Pour eux depuis longtemps le monde n’est plus intelligible ni fiable.

Le dispositif que nous proposons tente de l’être 

Pour le dire rapidement nos présupposés théoriques sont fondées par la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle c'est-à-dire que pour nous il n’y a pas de soin sans hospitalité et disponibilité au transfert. Pas d’accueil véritable si nos chercheurs de refuge ne rencontrent pas un dispositif qui permette de se ré inscrire dans une dimension collective.

Si on cherche du côté de l’anthropologie on s’appuierait plutôt sur les travaux de François Héran, Didier Fassin  ou Michel Agier. Jedois également citer avec Marie-Caroline Saglio.

Pour ma part, pour ce qui est de la clinique, une fois posé le présupposé de la psychanalyse comme éthique du sujet je dirais que c’est autour des cliniques de l’exil et en particulier des échanges que j’ai pu avoir avec Bertrand Piret que j’articule les tentatives de fonder une théorie de ma pratique.

Pour ce qui est du Politique, je me réclamerais de Jacques Rancière qui estime que la politique commence quand on réclame la part des sans part.

La perm psy dispose, et cela a toute son importance, de la totalité des locaux de MdM Paris exception faite des bureaux des salariés. Nous circulons tous du pôle de premier accueil, et sa grande salle d’attente, où les salariés de la mission assurent un pôle administratif et social, à des bureaux, box médicaux etc...le tout articulé autour de la grande salle de réunion transformée pour la circonstance en accueil collectif où les accueillantes officielles, et chacun de nous tous, en fonction de ses disponibilités d’emploi du temps ou psychique, proposent un temps et un espace dont chacun dispose selon son gré : on peut y boire du thé et du café manger des fruits secs ou des gâteaux, jouer à des jeux de société ( excellents médiateurs entre accueillants et accueillis)dessiner, discuter , ce qui peut supposer la disponibilité des interprètes. Il n’est pas rare que les accueillis les plus anciens se transforment en accueillants pour les nouveaux, voire en interprètes. On peut également, bien entendu être simplement là, à l’abri, au chaud dans un environnement relativement confortable, dormir sur sa chaise, écouter observer, se taire, se replier sur soi…Il arrive que des patients préfèrent rester dans la salle d’attente de premier accueil, mais aussi bien que certains qui n’ont pas rendez-vous viennent très régulièrement à l’accueil collectif, pas forcément pour participer activement.

Cet accueil collectif, mais nous n’aurons pas le temps de développer est dans le même temps le point central, le pivot du dispositif pensé comme tel à l’origine. mais  également le lieu possible des désaccords institutionnels. Sa définition et même son appellation sont sans cesse remis en question et cela s’inscrit dans l’histoire de la perm psy. Il était confondu pour certains à l’origine avec un groupe thérapeutique ce qui confinait à une injonction à la parole. Mais il n’y a dans l’ensemble que peu de conflits et revendications de place. Chacun a conscience, salariés ou bénévoles, psys ou non psy d’être partie prenante d’un dispositif transférentiel  Nous disposons d’ailleurs d’un financement MdM pour une supervision mensuelle.

La position des interprètes rémunérés et des juristes est particulière Des réunions sont en cours avec les interprètes pour envisager leur intégration à l’équipe mais cela pose beaucoup de questions.

Le pôle juridique participe aux débriefs qui ouvrent la permanence. Les avocats tournent beaucoup et il est d’ailleurs très précieux pour eux et pour nous qu’ils se démarquent du collectif soignant. Même si nous travaillons en collaboration.

Tous ce dispositif dessine donc un réseau ou les chercheurs de refuge peuvent faire état de leurs besoins et les voir pris en compte et parfois allégés ( don de tentes et duvet, petit vestiaire, orientation vers des accueils de jour , des endroits où manger, se laver, des associations partenaires, voire entretien avec le travailleur social de MdM etc.)ils peuvent bénéficier des conseils et aides aux démarches des juristes, se ré installer dans la possibilité d’un temps partagé sécure et chaleureux ,peuvent rencontrer un généraliste tant les corps réels et psychiques sont affectés par les formes de vie. Certaines premières consultations se font d’ailleurs avec médecin G et psy ensemble en fonction des disponibilités. S’occuper de l’ordinaire est une façon de s’adresser aux sujets désirants tant que nous n’y restons pas cantonnés Il s’agit ainsi de tisser une toile relationnelle, langagière où nos chercheurs de refuge peuvent venir croiser leurs propres fils. Il s’agit d’éviter la relation d’aide réduite aux besoins, au renforcement moïque. C‘est une vraie gageure, où nous ne pouvons espérer que rater mieux, pour que se dégage, autant que faire se peut, un espace pour les entretiens individuels, pour une rencontre qui ne soit pas trop envahie par les questions du réel de vie pour nos patients, et par l’angoisse et le sentiment d’impuissance pour nous ; par la conscience sur aigüe que, quand nous raccompagnons un patient à la porte, nous le remettons à la rue

Dans notre permanence donc, la disponibilité de tous, la possibilité de moments collectifs ou chacun peut s’extraire de son statut de pure victime pour retrouver et exprimer ses compétences propres, les entretiens psychothérapeutiques individuels, le recours possible au conseil juridique, la prise en compte des corps meurtris grâce à la présence de médecins généralistes, l’orientation possible vers les PASS, la présence d’interprètes permettant de vrais échanges, la possibilité d’être accompagné jusqu’au CPOA dans les moments nécessitant une hospitalisation, celle que certains d’entre nous assistent en soutien aux audiences CNDA, constituent un dispositif d’hospitalité et d’écoute réelle du sujet vivant gelé derrière le trauma.

Cela a des effets palpables, émouvants, enthousiasmants. Derrière l’être gelé traumatisé isolé, nous voyons émerger des sujets désirants, solides, autant dégagés que faire se peut des effets de leurs parcours, capables de prendre leur destin en main, de redevenir les sujets de leur histoire

La vulnérabilité quelle qu’en soient les causes appelle un refuge, un asile C’est par définition le cas pour les réfugiés et demandeurs d’asile…

L’accueil collectif a une fonction de refuge, c’est un lieu dont l’humanité réconcilie avec l’humanité, un collectif à effet thérapeutique.

Mais il faut interroger les effets de l’inscription de ce lieu comme Mission MdM. C’est une grosse mission que celle de la VSPP, à l’enjeu de plaidoyer important. Elle est très médiatisée et notre coordinateur est encore plus sollicité par les médias que la Présidente de MdM.

Cette visibilité nous permet une certaine marge de manœuvre, y compris financière puisque nous avons récemment obtenu la pérennisation de nos 3 postes salariés et la budgétisation toujours croissante des interprètes. Mais nous restons, et nous en revendiquons, une mission MdM. Cela suppose que nous, bénévoles, signions une charte du bénévolat qui nous engage à respecter les valeurs MdM la première est que, si nous luttons pour l’accès aux soins, nous ne nous substituons pas aux dispositifs existants. En théorie nous devons nous limiter à établir un diagnostic des besoins et à orienter vers le droit commun

Dans les faits, notre public et nos choix de fonctionnement nous amènent bien au-delà de cette acceptation de la charte.

D’autant que la perm psy est une formidable machine à fabriquer de l’engagement.

Cela  pourrait créer une tension entre les attentes de l’association et nos désirs soignants lesquels risqueraient  toujours puisque nous sommes « bénévoles», de nous conduire à une irrépressible furor sanendi.une furieuse volonté de faire le bien.

Notre fonctionnement collectif permet donc de supporter  la confrontation à notre radicale impuissance, et l’inscription dans  la charte MdM freine fort heureusement la furor sanendi dans des situations où il s’agit avant tout d’être prudents, circonspects et modestes …de faire preuve de tact.

Par ailleurs, pour ceux qui le souhaitent, la possibilité d’être adhérents de l’association et de participer au plaidoyer est une façon de s’occuper de la question politique sans l’importer dans les rencontres avec les patients eux-mêmes, et de contrebalancer peu ou prou l’inévitable sentiment d’impuissance récurent.

Nous oscillons en permanence entre le désespoir, le sentiment de vanité de notre présence et l’exaltation des moments de grâce où les effets de l’hospitalité et de la mise à disposition transférentielle nous permettent d’accompagner, émerveillés, le dégel de sujets  jusque là écrasés par les traumas.

Téléchargez la retranscription en cliquant sur le lien ci-dessous :
TéLéCHarger

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