19 janvier 2018

Désidentification et créolisation : se passer de la légitimité dans la filiation ?

Boris Chaffel

La dernière fois, Sophie Mendelsohn avait fait du concept de désidentification, emprunté à Rancière dans son article, « La cause de l’autre », le pivot d’appréhension d’un certain nombre de rapports liant d’une part, dans la psychanalyse, l’identification et la ségrégation, d’autre part, dans la  schizoanalyse de Deleuze et Gattari, l’identification et la promotion d’un inconscient racial qui  oscillerait entre un pôle schizophrénique et un pôle paranoïaque où viendrait se loger le racisme  proprement dit. 

Pour rappel, dans son article Rancière se saisit de la répression féroce de la journée du 17  octobre 1961, à Paris, dont il fait le site événementiel d’un rapport d’inclusion de l’altérité (au sens où  l’événement peut être l’occasion de la révélation d’un tel rapport) : « Ce qui a éclairé une scène  politique, dit-il, c’est une invisibilité, une soustraction produite par l’opération de la police », là où la  politique se déclarait « par rapport à la police, conçue comme loi de ce qui apparaît et de ce qui  s’entend ». Ont ainsi été invisibilisés les bastonnades et noyades sauvages des franco-algériens  présents sur le territoire lors des manifestations de soutien à l’indépendance, la disparition des  cadavres ou corps flottants dans la Seine, l’impossibilité du compte des disparus). Ce site  événementiel, Rancière nous dit qu’il peut être l’occasion d’« une désidentification par rapport à l’État  français qui avait fait cela en notre nom et soustrait cela à notre vue. Nous ne pouvions nous  identifier à ces Algériens brutalement apparus et disparus comme manifestant dans l’espace public  français. Nous pouvions en revanche nous désidentifier par rapport à cet État qui les avait tués et  soustraits à tout compte. (…) Il n’y avait pas d’identification à ces combattants dont les raisons  n’étaient pas les nôtres, à ces victimes dont les visages même nous étaient invisibles. Mais il y avait  inclusion dans une subjectivation politique – dans une désidentification – de cette identité impossible à assumer ».  L’acte policier d’un traitement différent des français d’origine algérienne et des autres, introduisait  une différence à soi dans la citoyenneté, mettant à nu « l’ethnicité fictive » (cf. Balibar, Race, nation, classe) du grand Récit national (autrement dit la manière dont le récit national orchestre la fiction d’une  identification de chacun à un « tout » délimité par des frontières nationales et déterminant un  partage entre « eux » et « nous »). Cette différence à soi opère grâce au compte des incomptés – donc  par la réintégration nécessaire de ce qui a été exclu. Voilà le rapport d’inclusion de l’altérité que  Rancière nomme désidentification, et qui lie très clairement la désidentification au procès de la  subjectivation politique, en ayant pour effet que le motif ségrégatif et raciste – et démenti comme tel  – du régime colonial, se voit troué par cette nouvelle définition politique de la citoyenneté comme  compte des incomptés. 

Côté psychanalyse, on pouvait attraper cette affaire liant identification et ségrégation, à partir de  la possibilité ou non, pour un sujet, de reconnaître le semblant de l’Un que constitue le Père primitif  dans la pérennisation du pacte des frères, à partir de quoi penser une fraternité ouverte ou fermée. 

- Fermée : le pacte était ségrégatif, fréroce, en niant, au fond, tout régime d’altérité, le pacte  étant tout entier indexé au caprice du père mort-vivant et ainsi à la puissance du fantôme  du père – c’est d’ailleurs à partir de là que Lacan identifie fraternité et ségrégation (Séminaire  XVII). Les frères sont en somme frères de leur aliénation à l’Unité imaginaire portée par  le père, qui a elle-même pris la relève de la puissance de rassemblement de l’identification 

au miroir.  

- Ouverte : reconnaissant le semblant d’unité qui prévalut à l’identification des frères entre  eux, autrement dit s’emparant du meurtre du père comme occasion de l’alliance sur fond  d’une désaliénation à l’unité imaginaire, la fraternité s’offrirait comme lieu possible  d’invention de nouvelles communautés politiques, ou de nouvelles subjectivations, qui ne  soient pas réglées exclusivement sur une défense face au caprice de l’Un, caprice qui, Freud  ne manque pas de le rappeler dans Totem et Tabou, trouve toujours à se réincarner dans une  figure qui chercherait à se réapproprier la puissance du père. Au fond, s’il y a ici  désidentification, inclusion de l’altérité en soi, c’est par soustraction de la jouissance du père à  l’Un du père, en tant que l’Un se trouve délesté d’avoir à porter l’origine du pacte qui  devient, paradoxalement, assumable

L’envers de cette identification se pensait autrement avec le texte de Lacan sur le complexe  d’intrusion qui théorisait la sortie de la réciprocité idéale, présociale et close du premier narcissisme  à partir de la reconnaissance de l’objet dans la jouissance du frère-semblable appendu à la mamelle.  Ici l’objet préside à l’identification au frère comme semblable, tout en me dépossédant du triomphe  de l’identification spéculaire et divisant du même coup l’unité imaginaire en révélant sa fonction de  leurre. La désidentification procède alors d’un double mouvement : soustraction de l’objet qui décomplète  l’unité imaginaire – je me vois sans l’objet parce que je vois l’autre à ma place auprès de l’objet ; inclusion de l’altérité-Chose, d’autre part – l’enforme de l’objet (l’espace de la Chose) est du même coup  constitué en altérité, là où il consignait seulement la présence / absence de l’objet. D’une part je  suis ramené à la présence du divers absolu, à une sourde mémoire de ce premier morcellement dont je triomphais dans l’identification au miroir, parce que l’Un de l’identification m’apparaît  comme leurre, mais tout en attestant en même temps de ma division d’avec la Chose, et ainsi de  ma non inclusion dans le divers absolu de la première sensorialité - le divers est alors susceptible  d’être constitué en altérité. « Le sujet, nous dit Lacan, à travers l’identification au frère, se rejoue lui même comme sujet de la perte de l’objet maternel ». La fraternité m’introduit ainsi, dans le complexe  d’intrusion, à un régime d’altérité qui me fait sujet de cette Chose, en introduisant une différence à  soi dans le premier narcissisme, mais du même coup à la rivalité fraternelle comme potentialité du  motif ségrégatif : « soit le sujet retrouve l’objet maternel et s’accroche au refus du réel et à la  destruction de l’autre (il est alors captif de l’identification narcissique au frère, captif de l’Un), (…)  soit il le reçoit sous la forme caractéristique de l’existence humaine, comme objet communicable » (ce qui l’introduit ainsi à la logique de l’échange, et donc à la symbolisation de l’objet). C’est cette rivalité que le meurtre du père prend à sa charge, tout en l’éternisant possiblement dans le fantôme  du père. (On aboutit donc à une désolidarisation de l’Un et de l’objet, qui dans l’algèbre lacanienne  se supporteront comme trait unaire et objet a). 

Côté schizo-analyse, Maël Le Garrec nous montrait que la race fonctionnerait comme un quasi transcendantal qui pourrait articuler dans l’immanence les rapports différentiels qu’entretient le  sujet avec les multiplicités qui le traversent et le constituent – le divers absolu : la race serait le  courant de l’Un en devenir, courant qui n’opère inconsciemment qu’en fuyant de partout. La race  ou le racial, dans l’inconscient, serait alors l’occasion des synthèses disjonctives où l’identification se  définit fondamentalement comme point de passage. Le délire en montrerait les deux pôles  asymptotique d’investissement du divers : un pôle schizo-nomadique (racial) où le sujet pourrait se  perdre en quelque sorte dans une impossible identification – réduit à n’être que pur être-affecté du  courant de l’Un, prisonnier du passage ; et son contre-investissement réactionnaire dans un pôle  paranoïaque ségrégatif (raciste), où l’investissement vise la compacité maximale de l’Un, en passant  par des identifications qui procèdent de synthèses conjonctives dont les noms racisés perdront  toute puissance d’équivocité. Entre les deux pôles, l’identification n’est que l’opération de relance  du courant de l’Un, le sujet procédant d’un rhizome d’identifications dont la consistance relève d’une  soustraction de l’Un qui empêche sa clôture tout en étant la condition de son extension dans la course  du devenir.  

Il y a une difficulté certaine à conjoindre le geste psychanalytique et le geste schizo-analytique – il  y a en effet presque un rapport d’incompatibilité entre les synthèses disjonctives (ou disjonctions  inclusives) opérées par le flux de l’Un qui découpe un plan d’immanence dans le divers absolu en  y dessinant cette sorte de consistance rhizomatique, et les schèmes structuraux de la psychanalyse qui permettent une découpe logique du divers par le sujet de l’inconscient, sauf peut-être à soutenir,  avec Allouch et depuis Lacan, que ce divers reste notre boussole à condition de se régler sur la  Chose (les modalités d’apparition du divers sont alors de l’ordre de l’éclair, peut-être façon  synthèses disjonctives). On peut en tout cas constater ici la convergence entre : 

- d’une part, la soustraction de l’Un dont se supporte la consistance rhizomatique ainsi  dessinée ; 

- d’autre part, avec la désaliénation à l’unité imaginaire dans la fraternité ouverte ou dans la  reconnaissance de l’objet comme objet d’échange chez les frères de lait, la soustraction de  la jouissance du père ou de la jouissance de l’objet pouvait se lire, là aussi, comme  soustraction de l’Un – au sens, en quelque sorte, du Réel de l’Un ; 

- et enfin, la subjectivation politique comme rapport d’inclusion de l’altérité dans l’exercice  d’une politique de la citoyenneté comme compte des incomptés, où la levée du démenti de la  politique raciste par la soustraction des corps massacrés dans la violence policière, consiste  en une soustraction de la soustraction des corps (en rendant visible l’opération d’invisibilisation  des corps), soustraction dont le résultat ne peut être subjectivé que sur le mode de la  désidentification, révélatrice du caractère de fiction de l’unité ou de l’unicité du Récit national.  La désidentification peut alors se lire comme l’impossible identification à un Récit qui  dément la jouissance qui le supporte.


Dans ces trois nœuds théoriques, le point essentiel, me semble-t-il, est de mettre en le démenti de la  logique ségrégative elle-même, qui apparaît promue comme une défense contre la puissance du divers,  rendue possible par la puissance des attributs de l’Un, sous condition de l’avilissement de l’autre,  nié comme tel. 

(Des extrait du Fanon de Cherki offrent des propos très concrets illustrant un tel démenti pp. 83-84). 

Avec Glissant, une désidentification à l’origine 

Pourquoi, sur ces bases, en venir à Glissant ? Parce que sa pensée se loge très précisément au lieu  des effets de ce démenti sur le sujet, opérée par « l’acte policier » de l’État lorsqu’il tente, avec la  disparition des corps dans l’absence de leur comptage, de faire taire, voire d’effacer, les événements  de 61, lorsqu’il minimise les événements de Sétif, par la politique qui permet aux français d’Algérie de se dire « envahis par les arabes », jusque dans l’exigence par l’État que les citoyens adhèrent au  Récit national en promouvant l’assimilation (soit la reconnaissance de et l’adhésion à l’unité nationale) qui suppose donc un gommage de la violence du potentat colonial. Là où l’identification, parce  qu’elle est portée par l’Un, entretient une fonction affine avec la ségrégation, Glissant va en montrer  le défaut, au sens de la défaillance, elle-même effet de l’opération d’une soustraction de l’origine dans la  traite négrière, qu’il nomme « coupure béante, irréversible ». Béance dont les « traces » voient le  martiniquais, dit-il, « prisonnier d’un double carcan : l’impossibilité de produire par et pour lui même, d’une part ; et d’autre part l’impuissance qui en découla d’affirmer ensemble sa nature propre ».  Cette nature propre, qui est l’inverse de ce qui est exigé d’assimilation dans la naturalisation des  étrangers, est autrement nommée : « idée de l’unité de la culture antillaise », « qui, précise-t-il, ne peut  pas être prise en compte pour nous, par d’autres » (DA I6 traces p. 26). Il est ici décisif que Glissant écrive  « l’idée de l’unité » plutôt que « l’unité », car c’est inscrire d’emblée le projet du Discours Antillais dans  une « fraternité » ouverte, c’est-à-dire non portée par la Réel de l’unité, qui exige toujours, on l’a vu,  c’était l’enjeu des dernières séances, de réduire l’autre ; de même qu’il est tout aussi décisif que le  geste, thérapeutique, soit celui du colonisé. Ainsi en va-t-il de sa proposition sur l’identité culturelle, p. 484 : « c’est une identité questionnante, où la relation à l’autre détermine l’être sans le figer d’un poids  tyrannique. C’est ce qu’on voit partout au monde : chacun veut se nommer soi-même ».

Pas un livre – et encore moins l’œuvre de Glissant dans son ensemble – ne se laisse alors  systématiser, pas même résumer : avec le Discours Antillais, il procède par accumulation,  multiplication des registres discursifs (poétiques, journalistiques, sous la forme d’entretiens,  théoriques, à la manière d’un journal de bord, de propositions de travail – certains textes sont issus  de propositions orales dans des collectifs comme celui-ci), rompant avec tout schème narratif, usant  d’anachronismes désignés comme autant de point de passages, bifurcations, précipitations (ce qu’il  nomme enracinements) de la perception du monde, pour inscrire le texte dans une temporalité qui  cherche à saisir le « tremblement » des choses (Glissant dit « anachroniser »). Le livre s’ouvre d’ailleurs  sur des introductions, au pluriel : il s’agit, au commencement, de détruire les privilèges de l’Un

Voici la série des Introductions

1. À partir d’une situation bloquée ; 

2. À partir de ce discours sur un discours (où se lit dans l’intertitre la perspective d’un retour  sur soi, suppose une logique de l’enroulement dans la saisie du divers qui toujours diffracte  l’Un) ; 

3. À partir de l’intention poétique ; 

4. À partir de Malemort (roman)

5. À partir d’une représentation faite de loin, il y a quelque temps ; 

6. À partir des traces d’hier et d’aujourd’hui, mêlées ; 

7. À partir du cri ; 

8. À partir d’Acoma (La revue de Glissant des années 70 qui lui a permis de penser le « Délire  verbal coutumier »); 

9. À partir du travail solidaire ; 

10. À partir du paysage ; 

11. À partir du manque oral et du créole. 

Autant de strates qui annoncent des puissances performatives d’affirmation d’un Tout qui n’est pas  une totalité – comme le Rhizome de D&G n’est pas une totalité ; performatives au sens où se  cartographie l’idée d’une unité de la culture antillaise, sur fond d’une soustraction de l’Unité à l’origine – d’un événement qui ne peut s’inscrire que comme soustraction, sans identification ; mais encore  d’une soustraction de l’histoire elle-même (l’histoire comme « virtualité non réalisable », p. 136), qui  suppose la « transcription psychique des nœuds de cette non-histoire » (Ménil, Les voies de la  créolisation, p. 569) – ce sera le motif du délire verbal coutumier. 

Voici un petit texte de La Cohée du Lamentin, p. 19, qui éclaire bien ce geste : 

« Corps brisés, jusqu’à ce point extrême où les mains transpirent. Notre frère Prisca acceptait  l’inextricable, parce qu’il voyait que nos unicités ne sont pas d’unique. (la pluralisation performative de l’Un  est décisive). Il ne craignait pas de fréquenter la rudesse innocente des utopies, parce qu’il avait  bien souffert de toutes les boues du monde, et parce qu’il savait ce qu’ont d’illusoire les « solutions  pratiques ». Il partageait avec Apocal la conviction que toute solution, pour aussi concrète et  radicale qu’elle parût être, doit d’abord sourdre d’une utopie, seule réalité du changement. Une  pacification militaire peut-elle procéder d’une utopie ? » 

Ce diagnostic fondamental d’un site, tout à fait localisé géographiquement et historiquement, où  l’histoire se donne comme « virtualité non réalisable », serait déficitaire et sans appel sans cette  poétique qui appelle une pluralisation performative de l’Un qui se supporte de l’utopie comme performatif. 

Et quelques citations des introductions :  

« La tentative d’approcher une réalité tant de fois occultée ne s’ordonne pas tout de suite autour d’une  série de clartés. Nous réclamons le droit à l’opacité. » (I.1. p.14) – autrement dit à ne pas être saisis  dans la transparence du récit de l’Autre ; ce qu’il nomme, p. 470, « l’effort de nier l’avoir totalisateur  et corrodant de l’Autre ». 
« L’intention de ce travail fut d’accumuler à tous les niveaux. L’accumulation est la technique la plus  appropriée de dévoilement d’une réalité qui elle-même s’éparpille. Son déroulé s’apparente au  ressassement de quelques obsessions qui enracinent, liées à des évidences qui voyagent. Le trajet  intellectuel en est voué à un itinéraire géographique, par quoi la « pensée » du discours explore son  espace et s’y tresse. (Ainsi le discours antillais ne s’offre pas d’un coup. Mais le monde, dans son  unité éclatée, ne requiert-il pas que chacun s’efforce vers l’opacité reconnue de l’autre ? Voici un pan (le  discours antillais, DA) de notre opacité) ». (I.2 p17- 18) 
« L’universel abstrait nous défigure. Et si cette terre, ce lieu, sont là menacés, alors marteler la parole  volontaire (c’est là que l’utopie se propose comme performatif). D’où les obscurités, les troubles du  langage. » (I.3 intention poétique, p.19) 

Le cas Georges Payotte – où Payotte rencontre le visage Homme blanc chez Maud  Mannoni 

Il me semble que c’est justement cette nécessité de provoquer l’opaque, du droit à l’opacité, qui  amène Glissant à insérer les quelques pages du cas George Payotte de Maud Mannoni, dans la  section qu’il nomme très habilement : Le regard de l’autre (DA. pp. 523& sq). Il s’agit d’emblée  d’excéder la pathologie par le contexte colonial, et certainement pas de corriger l’étude clinique de  Mannoni, encore moins d’user des outils théoriques de la construction du cas elle-même, plutôt d’une tentative de repérage de ce qui, dans l’écoute de Mannoni, dans une logique qui excède le  lien psychanalyste/ patient, fait que les entretiens tournent court. L’hypothèse de travail, dit-il, est  que « le regard de l’autre ‘dépasse’ le Martiniquais (comme s’il était transparent), c’est-à-dire que ce  regard nie les ‘problèmes’ qu’affronte tout Martiniquais dans sa quête d’identité ». 

Je crois que l’enjeu décisif pour nous, parmi les éléments soulevés par Glissant, tient dans le  troisième item des éléments situationnels (i.e. spécifique de l’origine martiniquaise de Payotte),  proposés à l’analyse par Glissant : « Peut-on dire (depuis ces notes de séance et leur commentaire  par Mannoni), qu’un inaperçu du psychanalyste a été sensible au malade ? ». Si tel est bien le cas,  comment peut-on l’appréhender, en analyste ?  

Voici quelques éléments du discours de Payotte que Glissant propose à la réflexion : 

1. « Les arabes voyant mon cerveau ont établi une manchette de politique. Ils se sont servi de moi  comme étant leur cerveau, ça m’a fait du tort. » 

2. « Je suis tombé malade par le problème algérien. J’avais fait la même bêtise qu’eux (plaisir sexuel).  Ils m’ont adopté comme frère de race. J’ai le sang mongol. Les algériens m’ont controversé dans  toutes les réalisations. J’ai eu des idées racistes. Des rumeurs ont couru sur moi dans toute la région  parisienne, quand je me suis senti persécuté. » « Je descends de la dynastie des gaulois, à ce titre,  j’ai valeur de noblesse. » « J’ai voulu reproduire à la Martinique »

3. « J’ai toujours rêvé aux harems de femmes. J’aimerais retourner dans mon pays pour des question  de mœurs et d’acclimatation » (ce qui est attendu et des antillais, et des algériens – ici pris au sens  littéral de l’acclimatation aux saisons). 

4. « Ici on est considéré comme sinistré. » « J’ai envie de lézarder dans mon pays. Je cherche  l’agrément. » (ce qu’on dit de la stase des antillais). « Quand on est natif d’un pays comme le mien,  les coutumes, c’est la procréation » (fonction de l’esclave mâle). « Dans mon rhésus il y a une origine  arabe, c’est pas une honte d’être nord-africain ».  

5. « Après ma jouissance, j’ai perdu ma beauté (mon nez négroïde) » (le signe de sa puissance sexuelle  pour le blanc). « Je suis rentré à la maison complètement fou. J’ai eu peur en chemin d’être lynché  par les noirs » ; « arrivé hébété à la maison, je retrouve mes cousins blancs ». « Comme on pourrait  bien se comprendre si on était de la même peau, si on était un. » (si une filiation nous unissait ?) 

6. « Je suis un garçon de couleur, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas droit à ma part. On se fiche  de ma figure. La France devrait aider la Martinique. » « Un blanc m’a frappé, j’ai besoin de dire  non ». 

7. « Mon nom est d’origine Corse, votre nom est Mannoni, on est fait pour se rencontrer. Qu’on fasse  sauter mon nom corse, je serai avec un Harem de femme. Qu’on détermine mon nom, qu’on le  détermine scientifiquement, et je pourrai ensuite établir un Harem. » (où la race est déliré sur fond  d’une origine – le nom – qui nie l’origine – la cale négrière ; ce que Mannoni lit strictement comme  forclusion du Nom-du-Père – « il recherche l’accès qui lui est rendu impossible à une vérité  symbolique »). 

Je crois que ce qui a été sensible à George Payotte, c’est « le visage Homme blanc » que D&G  promouvait dans Mille plateaux (cf. MP p. 218) et qui précipite l’issue paranoïaque du transfert, c’est  aussi ce que Fanon nomme « schéma épidermique racial » et dont la puissance de contention se  laisse si bien sentir dans le film Get out : soit ce regard qui saisit l’autre comme un objet, en y  soustrayant l’unité qui le supporte (le trait de l’identification qui lui permet de se soutenir comme  sujet) pour y substituer le trait de l’objet (qui se massifie ou se ramasse dans le signifiant « Noir »,  avec toute la puissance fantasmatique dont il est porteur pour le colon, depuis la traite négrière) – « Il y a la vie, le mouvement, l’existence du colonisé, et en face, l’agonie continuée du colonisé », dit  Fanon (An V de la révolution algérienne). L’enjeu n’est donc pas du tout le blanc comme couleur du  visage de Maud Mannoni, mais le fait que tout en étant parfaitement avertie de la situation coloniale  et de la traite, elle relève le contexte pour elle-même, la femme d’Octave, mais n’en fasse rien, non  seulement avec lui, mais encore moins pour elle-même – et qu’ainsi, par un « acte d’objectivation qui  se substitue à tout discours possible » (Glissant), en un geste « d’inclusion du particulier dans  l’universel » (p. 533), se soutienne le démenti qui incarcère le colon dans un corps momifié, dans  « une mort atmosphérique » (cf. L’An V, p. 115 cité par Matthieu Renault in Frantz Fanon, chapitre, « la décolonisation et le schème de l’unité »). 

Alors se lit bien, chez George Payotte, la double polarité schizophrénique d’un côté, paranoïaque  de l’autre, que la schizoanalyse mettait en évidence : d’un côté, déclenchement du délire par le  problème algérien, qui vient lever le démenti porté par le regard de l’autre dans l’espace colonial  martiniquais (et on saisit la finesse de l’en-tête du chapitre de Glissant) – « je suis tombé malade  par le problème algérien » ; s’ensuit une espèce de course à l’identification qui mêle les exigences  du Récit national (l’assimilation ici énoncée acclimatation, la descendance gauloise qui est commune  au Martiniquais et à l’Algérien dans le Récit enseigné par le colon, les préjugés de puissance sexuelle  qui le situe du côté de l’objet du fantasme de l’Autre, le rôle assigné au mâle étalon à la Martinique – « j’ai voulu reproduire »…), jusqu’à la perte du trait qui, dans le regard de l’autre, le constitue comme  objet (« le trait négroïde »), autrement dit l’affuble d’un autre visage, et le visage s’offre alors,  comme dans Mille plateaux, comme visage de l’Un : « Comme on pourrait bien se comprendre si on  était de la même peau, si on était un ». C’est précisément là que, reconnaissant la place où le regard  du visage de l’Un le positionne, le virage paranoïaque s’opère. 

D’abord en appelant Mannoni à le rejoindre : « vous et moi nous sommes des tabous, vous et moi  nous sommes l’appât, la nourriture » ; il l’appelle à se reconnaître avec lui dans l’espace d’une défiguration qui convoque toute la situation coloniale. Pour finalement récupérer le trait « absurde » (celui de la différence de couleur porté précédemment par le trait négroïde) exigé du visage abstrait  que supporte désormais Mannoni dans le transfert, faute d’avoir pu le rejoindre au lieu de l’objet  de l’Autre : « Je suis un garçon de couleur, je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas droit à ma part.  On se fiche de ma figure. », où l’unité, donc, se récupère, et permet à Payotte d’énoncer : « Un blanc m’a  frappé, j’ai besoin de dire non », tout en restant forclose : « j’ai besoin qu’on détermine mon nom », cette  dernière exigence fonctionnant comme un ultime appel à fissurer ou diviser la transparence du  « visage Homme blanc », transparence qu’il faut bien repérer comme transparence d’un régime  d’énonciation. 

Tout cela va amener Glissant, dans la partie sur Le délire verbal, en insérant ce type d’acte délirant  dans les effets d’une histoire comme « virtualité non réalisable », à distinguer le délire dit  pathologique, du délire qu’il va nommer « coutumier ». Le premier est objectivé sous la forme d’une  réponse, solitaire dans sa tension, à un environnement à l’égard duquel l’acte se substitue à tout discours  possible : la situation, au sens des coordonnées subjectives du cas, constitue le motif d’objectivation  de l’acte délirant ; le second, le délire verbal coutumier (DVC), subjective le champ de la situation selon  une logique pulsionnelle collective qui constitue un questionnement : comme question, il se substitue  à tout acte envisageable et vient codifier un discours. Ainsi, d’un côté, l’objectivité d’une situation  subjective singulière constitue l’acte (« c’est un passif-actif : on subit le délire mais le délire constitue  le seul acte locutoire qui donne forme à la situation en l’éloignant »), de l’autre « le subjectivant  diffère l’acte, c’est un actif-passif (il offre son lieu à une pulsion de morbidité non résolutoire), c’est  une subjectivation passive, mais une subjectivation tout de même où le délire verbal extériorise  collectivement » (pp. 624 & sq) : il est ainsi coutumier, « le sens obscur » de « la virtualité non réalisable », qui  réfère collectivement l’existence au chant de la plainte (p. 635). 

L’errant des sociétés coloniales est en quelque sorte le sujet princeps de l’effet du déracinement,  qui dit « le même impossible lancinement d’une production vraie » en « moulinant le tragique du  déracinement », c’est là qu’on peut situer ce que Fanon nomme « mort atmosphérique ». De la  même manière que « l’élite de la société coloniale crie son angoisse de n’être pas l’élite qu’elle croit  être, en même temps que son refus de le découvrir tout en restant acculée à ne cesser de tenter de le  découvrir ». « Dans une société coloniale qui ne présente plus les formes extérieures extrêmes et tranchées de  la domination, le délire verbal n’est pas la maladie de quelques-uns, c’est la tentation de tous . » (pp.  623-625). Autrement dit, le délire verbal coutumier se perpétue au-delà des formes les plus  extrêmes de la violence parce que l’État, le socius, soutiennent le démenti de la logique ségrégative  elle-même, portée par le « visage Homme blanc » de D&G. 

C’est pourquoi le feuilletage qui compose les développements sur le DVC se laisse saisir comme ce  qui appelle le DA comme puissance performative de l’idée d’une unité de la culture antillaise : il porte avec  lui, en l’éternisant, les traces d’une société « si aliénée qu’elle est peut-être la seule colonisation extrême  de l’histoire moderne, que la menace se précise d’une disparition pure et simple de la société  martiniquaise en tant que complexe original, ne laissant la place qu’à une collection d’individus  dominés dans une relation de dépendance à l’autre – qui ne pourraient ainsi ni partager un mode  approprié de relation au monde, ni une réflexion quelconque sur cette relation. » C’est pourquoi également  Glissant, avec ces éléments de propositions diagnostiques, qui dessinent un fond quasi  mélancolique de la situation antillaise, va se régler, dans toute son œuvre, sur un geste qui dégage  la filiation de toute la sphère de la légitimité. C’est un point essentiel de convergence avec Rancière,  sauf que la désidentification ne procède pas, ici, du repérage d’un site événementiel, mais de la  nécessité de prendre acte de la division de l’origine dès le coup d’envoi de la traite négrière,  autrement dit de promouvoir la désidentification à l’origine, redoublée de la soustraction, dans les  potentialités de l’histoire, de leurs actualisations. 

La filiation sans la légitimité : les enfants passeurs du paysage 

« On vient toujours de quelque chose, donc il y a l’idée de matrice. Mais ce quelque chose n’est pas unique  et unitaire, n’est pas une genèse. Les systèmes de filiation dans les cultures occidentales sont des systèmes  qui garantissent la légitimité (…), toutes les filiations visent à garantir la légitimité. Or, il me semble que dans  la poétique de la mondialité, la notion de légitimité n’est pas une notion nécessaire. L’idée de changer en  échangeant est plus importante que l’idée de légitimer en préservant (…) Garantir la légitimité, c’est dire  que la filiation est sectaire de l’autre. (…) Il n’y a pas de légitimité, il n’y a que des relations. (…) Je ne rejette  pas la filiation comme principe en soi, je la rejette comme principe étanche, c’est à dire exclusif de l’autre. » « Je n’ai jamais dit qu’il n’y a pas d’origine, mais je dis que l’origine est multiple. (…) C’est pour ça que c’est  une digenèse. (…) si l’origine est divisée, je n’ai pas besoin de chercher le fondement et la stabilité, comme  dans les philosophies. (…) Si je suis contre l’Etat-Nation, c’est parce qu’il est le reflet de l’Un. » (Glissant,  « La relation, imprédictible et sans morale », 2002). 

Dans une conférence à la maison de l’Amérique Latine, prononcée en 2009 (et publiée dans la Revue  lacanienne sous le titre « Il n’y a pas de filiation : l’enfant n’est pas le père de l’homme »), Glissant  reprend cette affaire de la digénèse en la branchant sur la question de la filiation : face à ce public  composé de psychanalystes (ALI), il cherche à provoquer un choc. Ceci le conduit à une critique  de certains préjugés psychanalytiques qui pourraient amener à se saisir des errances du sujet  postcolonial sur un mode déficitaire. La rupture dans la reconnaissance de la filiation serait ramenée  sur le plan socio-historique à une défaillance absolue de la légitimité, conçue comme descendance  par le père : la continuité aurait un sexe, un genre, ceux du père (on reconnaît là la réduction de  Payotte par Mannoni dans les catégories de l’universel). « La succession par la mère, seule  indubitable, serait marquée d’insécurité (ce que la psychanalyse, autrement dit, inscrirait au registre  des ravages de la carence paternelle, or c’est de l’exigence de la légitimité comme telle, on va le voir, que  Glissant va faire procéder le ravage ), ne serait garante d’aucune légitimité, resterait en marge des  lois officielles de succession » (c’est l’hypothèse de Melman, qui avance que la transmission  phallique passerait dans la famille antillaise, non par la castration, mais par une donation maternelle,  en en proposant un certain nombre de conséquences, cf. Lacan aux Antilles, 2000, Erès 2014). 

En Occident, poursuit Glissant, « la genèse isole et spécifie l’espèce ou la communauté, et une  filiation qui en garantit la perpétuation dans un idéal d’éternisation ». 

Cet idéal est porté par trois principes :  

Premier principe : la continuité est mâle. 

Deuxième principe : il n’existe pas de dialectique de et entre la continuité et la rupture : toute rupture est  placée sous le signe de l’illégitime, soit la non-continuité absolue. Le signe de la légitimité d’une filiation, si sa  nature est bien de descendre (de père en fils), c’est de se signaler en la remontant.  La légitimité supporte ainsi le motif ségrégatif porté par la fraternité qui s’offre en troisième principe comme motif de l’unicité qui, nous dit Glissant, généralement, et de manière collective, dégénère en  des formes d’enfermement et de racisme, quand individuellement, elle frappe le sujet des stigmates de la  récession sur soi et du déséquilibre mental lorsque l’on ne peut ni monter ni descendre la ligne de  filiation que l’on s’est fixée.  

Où se loge donc la possibilité ravageante de la légitimité de la filiation ? Au lieu où « la nécessité de  la continuité dans une unicité de l’être, alors même que l’on refuse toute alliance possible du continu et  de la rupture (cela donne son périmètre à la ségrégation, qui est démentie comme telle), produit des aberrations  du comportement, non pas par rapport à une norme, mais par rapport à une naturalité (ici à entendre comme  essentialisation, mais au même sens que la naturalisation des étrangers exige l’assimilation, c’est à  dire le signe de l’enracinement du sujet dans le récit national) : l’aspiration cataclysmique à la légitimité  en est le signe maladif. » 

Que va opposer Glissant, dès lors, à ce cercle de l’exigence de la légitimité dans la filiation (cercle  au sens d’une circularité de l’exigence de l’Un quand survient une brisure de la ligne de légitimation,  comme cela peut arriver dans les accidents de la vie, mais plus fondamentalement comme  conséquence de la violence d’Etat) ? La brisure de « l’unicité efforcée » rompt la ligne de filiation et il n’y a d’autre solution que de renoncer à l’ambition absolue de la légitimité pour briser le cercle, ce qui  signifie renoncer à l’exclusive de la continuité en soi (vous reconnaissez là, par l’envers, ce que Rancière formulait comme « inclusion de l’altérité en soi »). Face à cette exclusive, Glissant propose que  « l’imprévisible de la nature remplace bientôt l’exigence uniquement culturelle de la légitimité »,  (c’est ce qu’un Canguilhem repérait avec cette faculté du vivant, dans l’apparition des monstres, de  précariser la norme ; ce qu’on peut aujourd’hui repérer en biologie avec toutes les recherches autour  de la fonction parasitaire du microbiote qui rompt totalement avec l’idée de l’unicité d’un corps vivant). Mais la nature est bien plus que le vivant, c’est « la multiplicité qui étale et disperse la  prétention linéaire de la filiation et fait entrer les humanités dans un autre temps où la vitesse  foudroyante et l’épaisse lenteur se confondent » (comme avec le courant de l’Un et les synthèses,  chez Deleuze et Gattari). Dans cette configuration l’enfant est un passeur (et non plus le père de  l’homme à la manière dont le mythe de TT constitue l’humanité dans la fraternité, donc par les  fils) : Glissant va tordre cette spécificité du créole d’être une langue, qui issue d’un Pidgin, advient  comme langue par les enfants, en la redoublant d’une expérience fondatrice pour lui et qu’il  généralise à l’enfant comme site de subjectivation du paysage (cf. son expérience de nourrisson, sur  laquelle il revient souvent, dans La Cohée du Lamentin, pp. 88-91).  

Que reste-t-il alors de la filiation ? Un pur principe de proximité, fondé sur la multiplicité naturelle  du devenir, et c’est pourquoi, le paysage, chez Glissant, va prendre une fonction décisive, au cœur  d’une réaffirmation de l’origine comme digenèse, en reprenant, d’une certaine manière, la fonction  du visage chez D&G comme redondance signifiante. D’une part, chez eux, le visage permettait  d’indexer les traits signifiants sur des traits de visagéité spécifiques, construisant le mur dont le  signifiant a besoin pour rebondir, tout en creusant le trou, d’autre part, dont la subjectivation a  besoin pour percer : « Pas un visage qui n’enveloppe un paysage inconnu, inexploré, pas de paysage  qui ne se peuple d’un visage aimé ou rêvé, qui ne développe un visage à venir ou déjà passé. Quel  visage n’a pas appelé les paysages qu’il amalgamait, la mer et la montagne, quel paysage n’a pas  évoqué le visage qui l’aurait complété, qui lui aurait fourni le complément inattendu de ses lignes  et de ses traits ? » (MP, p.212). (Il est bien clair que ce qu’ils nommaient « visage Homme blanc »  provoquait quant à lui l’effacement du trou par « détermination des écarts de déviance pour les  effacer sur le mur qui ne supporte jamais l’altérité »). Donc, dans cette promotion de la digenèse  qui dégage les fils de la question de la légitimité, c’est parce que l’enfant a appris aux humanités à  concevoir les paysages comme des pays, et non plus comme des décors, qu’il devient un passeur.  Visagéifier le paysage, en constituant l’enfant comme passeur, en logeant là la question de la filiation,  c’est prendre acte du fait « qu’un bateau négrier, ce n’est pas une genèse », « c’est un endroit où les  langues disparaissent, les coutumes disparaissent, la mémoire s’engloutit, etc. et si par bonheur on  en réchappe, on fait quelque chose de nouveau dans le monde, complètement nouveau », visagéifier  le paysage, c’est finalement nous inscrire, comme avec le Créole, dans « une filiation au langage ».

Par Boris CHAFFEL, le 19 janvier 2020

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