19 juin 2021

Autour d' "Hériter 1962", rencontre avec Giulia Fabbiano

Les harkis, entièrement à part ?

 

Giulia Fabbiano, anthropologue, est l’autrice d’articles consacrés à la question harkie et d’un ouvrage Hériter 1962. Harkis et immigrés algériens à l’épreuve des appartenances nationales (Presses universitaires de Nanterre, 2016), où il est question de décloisonner l’étude des harkis du périmètre d’exception où cette part de l’immigration algérienne post-1962, post-indépendance, est en général reléguée. Cette situation crée de facto une concurrence mémorielle, dont elle questionne les fondements en s’intéressant aux bouleversements statutaires et identitaires qui ont marqué l’indépendance algérienne, et en ont prolongé les effets au-delà de la fin de la colonisation, dans la postcolonie – c’est ce qui est ici nommé l’ « effet 1962 », associé à l’ « invention » des harkis, soit l’invention d’une ethnicité anomale. « Harkis » devient alors le nom d’une appartenance (à un territoire, à une histoire, à une culture, à une mémoire) éclatée par les effets secondaires de la révolution algérienne et de l’indépendance. L’altérité algérienne (donc vue depuis l’hexagone) connut au moment de la décolonisation une mutation profonde, dont les harkis, en tant que groupe séparé dans le groupe, seraient le« symptôme ».

Constatant dans ses travaux de terrain, notamment à Mas Thibert, avec les harkis du bachaga Boualam, que le rapport à la guerre continue, plus de cinquante ans après, à être structurant dans la construction de la parole des harkis et des immigrés et surtout saturé d’une mémoire vive qui a du mal à se convertir en histoire, il s’est donc agi à ses yeux de « repenser 1962 », non pas comme la fin de l’époque coloniale en Algérie, mais comme le début d’une séquence historique toujours ouverte, qui bouscule l’appartenance et ses frontières, l’histoire et ses séquences. La complexité et les contradictions de ces trajectoires postcoloniales, étudiées en s’intéressant plus particulièrement aux couples dits mixtes, et à leur descendance, se réfracte dans trois enjeux, à partir desquels il deviendrait possible de faire jouer la question harkie autrement, c’est-à-dire d’en faire le « symptôme » de la postcolonie française – mais symptôme, ici, et dans l’acception psychanalytique, c’est le signe du conflit dans lequel est pris le désir, jusqu’à s’y trouver en impasse, mais c’est aussi le point depuis lequel il peut être relancé selon d’autres trajets : désolidariser le passé du présent ; l’historiciser, donc le remettre dans son époque ; le réparer, ne serait-ce que du point de vue mémoriel.

 

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