Le 1e novembre 1954, une série d’attentats retentit en plusieurs endroits du territoire algérien. Une organisation politico-militaire jusque-là inconnue, le Front de libération nationale, le FLN, et son bras armé ALN en revendiquent la responsabilité. Cette nuit, dénommée par les médias français comme « la Toussaint rouge », a été considérée rétrospectivement comme étant le début de la guerre d’Algérie. La résistance armée au nom de l’indépendance existe pourtant déjà, depuis une dizaine d’année dans les zones frontalières et montagneuses de l’Algérie, par les fellaghas (les coupeurs de routes en français).
Pour écraser le soulèvement organisé, les forces disponibles pour le maintien de l’ordre paraissent rapidement insuffisantes et le gouvernement général en Algérie encourage le recrutement des Français Musulman d’Algérie (FMA) pour former une police responsable du maintien de l’ordre dans le milieu rural. C’est ainsi que le ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand prescrit la mise sur pied de 3000 combattants parmi la population indigène pour constituer les groupes mobiles de police rurale (GMPR), avec la vocation à exercer une surveillance suffisante sur l’ensemble du territoire.
Le début de la révolte montre également les lacunes de la présence administrative française en dehors des grandes villes de l’Algérie. Réadministrer devenant le nouvel objectif, se créent au début de 1955 des centres administratifs de campagne qu’on appelle les SAS qui servent d'assistance scolaire, sociale et médicale. Ces centres sont protégés par les unités supplétives moghaznis composées des habitants de proximité. Le makhzen dont dépendent les moghaznis était à la base le signe du ralliement collectif d’une tribu, qui fournissait des guerriers en échanges des privilèges avec l’Etat. Désormais, le service des moghaznis est devenu individuel avec la signature d’un contrat à durée déterminée.
Ces augmentations successives sont la conséquence du choix stratégique, effectué par l’armée française : quadriller le territoire algérien par les petites unités, autant pour montrer la présence française que pour limiter les actions des rebelles.
D’autres unités voient le jour dès le début de la guerre, les Assas pour assurer la fonction de convoyage et de protection de chantier ; les groupes d’auto-défense (GAD) pour défendre leur village et les centres de regroupements, et les Harkis, supplétifs de bas niveau qui effectuaient toutes sortes de taches, depuis les missions de reconnaissance et de combat jusqu’aux besognes subalternes, comme les ramassages de déchet et les corvées de la cuisine. Plus tard, ils ont été rattachés à des unités de génie militaire, ou à des brigades de gendarmerie, d’autres encore à des unités de contre-guérilla, les commandos de chasse, etc. (Vincent Crapanzano, Les harkis, Ed. Gallimard, Paris, 2012, p. 74). Illettrés pour la plupart, ils sont issus d’origines différentes, arabes ou berbères, de classes sociales différentes mais également de régions différentes.
Au début de la guerre, peu de différences distinguent les unités supplétives : Harkis, moghaznis, les groupes mobiles de police rurales, ou les groupes d’auto-défense sont désignés tous sous le terme générique de goumiers, puisque tous concourent au renforcement d’un quadrillage des zones rurales, mais avec un statut différent. Le statut des harkis n’a jamais été aussi clair que celui des autres auxiliaires. Ils étaient des journaliers bouche-trou, avec un maigre salaire, sans bénéficier d’une sécurité de travail ni des avantages des autres unités. Ils ne recevaient donc aucune garantie de prolongation de service, aucune prestation sociale, et pas d’allocations familiales.
La création des unités supplétives s’inscrit dans le maintien de l’ordre colonial. L’enrôlement d’auxiliaires indigènes ne correspond donc pas à une stratégie spécifique de la guerre d’Algérie mais à un mode d’exploitation de la colonie par la métropole, qui vise à faire participer les colonisés au processus colonial. Cependant, l’ampleur et la finalité de ce recrutement constituent une particularité de cette guerre. (François-Xavier Hautreux, La guerre d’Algérie des harkis, Ed. Perrin, Paris, 2013, p. 21). En 1957, l’état-major recense officiellement 14.000 supplétifs dont seulement 2200 harkis (3500 GAD, 3500 mokhaznis, 4800 GMPR). Face aux maquis nationalistes, la réponse militaire de la métropole privilégiait à cette époque le recours au contingent, non pas pour des considérations stratégiques mais à cause de la méfiance qu’elle avait à l’égard des Algériens. Les premiers harkis jouaient un rôle avant tout défensif. (Hautreux, p.71) Levés temporairement, pour une durée brève, ils accompagnaient généralement une opération qui se déroulait à proximité de leur village.
Cependant, face à la progression rapide du FLN et sous le commandement du général Salan, les unités composées d’autochtones prennent une nouvelle importance, numérique mais également stratégique. Les harkis qui dépendaient jusque-là des préfets sont passés sous commandement militaire en avril 1957, ce qui a permis l’organisation des unités dans un sens plus opérationnel et offensif, avec une amélioration de l’armement des harkas qui étaient dotés désormais en arme de guerre. Certains officiers n’étaient pas d’accord avec la décision de l’engagement des forces indigènes dans la guerre, non seulement parce qu’ils pouvaient craindre la désertion et la trahison mais également parce qu’ils ne jugeaient pas normal de retourner un peuple contre les siens (Crapanzano, p. 78). Cependant, l’armée qui jugeait commode l’engagement des harkis, sans garantie d’emploi, harcelait continuellement Paris et exigeait sans cesse davantage de fonds pour leur recrutement. Le nombre des harkis a ainsi considérablement augmenté sous le commandement de Salan, passant de 14.000 à 30.000 en 1958, sans pouvoir atteindre l’effectif de 48.000 que Salan réclamait à l’origine. Seulement 5 mois après, fin 1958, Challe qui a remplacé Salan a réussi à se faire accorder 30.000 hommes supplémentaires, faisant passer le nombre des harkis à 60.000. Si les harkis sont précieux par leur connaissance du terrain et de l’adversaire, leur présence exige une surveillance importante, puisqu’ils sont souvent considérés comme des traîtres potentiels pour la France, même si les chiffres, notamment ceux de la désertion ne confirment pas ces suspicions, variant de 0,1% à 3,6%. (Hautreux, p. 208) Ils doivent non seulement être toujours accompagnés d’un soldat du contingent, mais en plus rendre leur arme après chaque opération.
Il y avait en effet deux avantages majeurs à utiliser les auxiliaires algériens, le premier est opérationnel, puisqu’il s’avère indispensable de disposer d’hommes dotés d’une bonne connaissance du terrain dans lequel se déroulent les opérations. Le second avantage est psychologique, car ces engagements permettent de démontrer que les algériens combattent bien pour la France contre les rebelles, ce qui revient à nier le nationalisme algérien, et à réduire les révolutionnaires au statut de bandits (Hautreux, p. 107). Il s’agissait également de contrecarrer la propagande du FLN selon laquelle la France faisait appel à des troupes venant d’un territoire voisin pour rétablir l’ordre en Algérie et qu’elle était impuissante à trouver sur place les volontaires nécessaires.
Comment comprendre déjà le succès de ces engagements ? Pourquoi ces hommes ont-ils rejoint une unité de supplétifs ? La question de la raison de leur engagement demeure l’une des plus discutées dans les ouvrages qui évoquent l’histoire des harkis. Les anciens officiers qui ont témoigné à ce sujet construisent une histoire haute en couleurs et en émotion, et mettent en avant leur patriotisme. D’autres réfutent cet argument de la fidélité au drapeau, comme Maurice Faivre, lui-même ancien officier en Algérie. Celui-ci affirme que l’engagement des harkis relève davantage des circonstances locales que d’une adhésion idéologique (Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, Ed. L’Harmattan, Paris, 1995, p. 32). Parmi les premiers motifs d’engagement, il cite les pressions et les compromissions de l’armée, mais aussi et surtout les excès du FLN qui provoquent la lassitude du peuple. Vincent Crapanzano témoigne de la fréquence des récits qu’il a rencontrés quant à la violence faite par le FLN qui tuait sous le coup de la fureur non seulement tous les hommes du village mais également les femmes et les enfants. Pour beaucoup de harkis, servir dans l’armée, même à titre d’auxiliaire, leur permettait d’obtenir en quelque sorte réparation pour ces agressions, et le déshonneur dont ils avaient souffert. Il y a donc la violence exercée d’un côté par FLN : menaces, mutilations, égorgements ; et de l’autre par l’armée : paupérisation (l’appauvrissement continue d’un groupe), contrainte, torture et les exécutions sommaires des civils algériens, soupçonnés de sympathie envers les indépendantistes. Parmi ces raisons, il y a également la grande pauvreté dont souffre ces hommes au moment de la guerre, soucieux d’assurer leur existence matérielle et celle de leur famille. Ces quatre schémas, c’est-à-dire le patriotisme, la violence du FLN, celle de l’armée et la pauvreté, constituent toujours la grille d’interprétation dominante, bien qu’ils souffrent de limites intrinsèques (Hautreux, p. 235), puisque non seulement il est difficile d’utiliser des témoignages rétrospectifs dans l’écriture de l’histoire, d’autant plus que les seuls témoignages obtenus viennent d’un échantillon de harkis présents en métropole, mais également parce que cette grille réduit l’engagement à une causalité unique.
La réalité était sûrement beaucoup plus complexe et la décision d’engagement des harkis devrait être considérée dans le contexte de violence et de terreur qui règne à cette époque en Algérie où chacun craint pour sa vie (Crapanzano p. 91). S’engager, c’est certes prendre une arme qui peut servir contre les maquisards, mais ça permet aussi localement de se protéger des exactions et des pressions de l’armée française en la ralliant (Hautreux, p. 235). Quoi qu’il en soit, un seul facteur ne pourra suffire pour comprendre un acte aussi complexe. Nous pouvons d’ailleurs également parler des engagements collectifs, de ceux qui ne pouvaient pas discuter la décision de l’engagement, comme les harkis qui étaient sous l’autorité du Bachaga Boualam, le haut dignitaire et chef de 24 tribus arabes.
Le nombre de harkis engagés dans l’armée française trouve son apogée avec l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir, en pleine guerre d’Algérie, suite à la crise de mai 1958. Il s’agit d’un contexte insurrectionnel dans lequel les agissements des ardents partisans de l’Algérie française ont joué un rôle déterminant (Todd Shepard, 1962, Ed. Payot&Rivages, Paris, 2012, p. 127). De nombreux livres d’histoire relatent pourtant les réticences de De Gaulle concernant le recrutement des harkis, dont témoigne le général Boissieu : De Gaulle aurait interdit au général Salan d’employer les harkis « en opérations contre leurs frères de race », et aurait renouvelé l’ordre au général Challe de « ne les employer qu’à des tâches administratives et de surveillance ». Pourtant aucune décision ministérielle, ni aucun ordre réglementaire n’ont été édictés dans ce sens-là. La déclaration publique du général Challe montre par ailleurs qu’il n’a jamais caché sa politique de recrutement au chef de l’Etat, je le cite : « Il faut que la population musulmane prenne activement part à la lutte. Beaucoup de villages sont en autodéfense, ils n’ont encore qu’un rôle passif, purement défensif. J’entends désormais leur donner un esprit offensif… rendre la vie intenable à tout rebelle s’aventurant sur leurs terres. » Comme le rappelle Maurice Faivre (Faivre, p. 55), ce n’est pas en effet le discours d’un homme qui a reçu l’ordre d’employer les musulmans à des tâches administratives, ordre qui semble en plus méconnaître le niveau culturel des harkis, sachant que la plupart sont des paysans illettrés.
En 1959, si les français sont en train de gagner la guerre sur le plan militaire, ils sont en train de la perdre sur le plan diplomatique, puisque la France a de moins en moins d’arguments pour justifier sa présence en Algérie dans un contexte de décolonisation sur le plan international. Le gouvernement commence alors à préparer la sortie de guerre. En septembre 1959, à peine un an après l’augmentation massive des supplétifs et leur utilisation dans des opérations offensives, De Gaulle évoque le droit des Algériens à l’autodétermination, et rappelle que ceux qui voudraient rester français le resteraient. Depuis son retour au pouvoir, il affirme d’ailleurs par touches successives sa vision de l’avenir de l’Algérie, jusqu’à l’évocation de la « république algérienne » en novembre 1960, l’année où commencent les négociations entre les représentants du gouvernement français et du gouvernement provisoire de la république algérienne. De Gaulle accepte peu à peu toutes les exigences du FLN, notamment raccourcir le délai entre le cessez-le-feu et l’indépendance, ce qui raccourcit de fait la durée de présence de l’armée française pour garantir les règles dictées dans les accords, comme le principe de non-représailles contre des algériens qui auraient combattus dans les rangs des Français. Selon Malraux, De Gaulle veut avoir les mains libres pour engager la grande politique planétaire entre les deux blocs qu’il est le seul à pouvoir mener. Mais les européens d’Algérie ainsi qu’une partie de l’Armée tentent à plusieurs reprises de freiner ce processus, jusqu’à la constitution de l’OAS en 1961. La question de l’avenir des supplétifs est immédiatement posée, d’autant plus que plusieurs commandants relatent l’aggravation du malaise existant chez les harkis, dont le moral est le plus fragile parce qu’ils ne sont que des journaliers et qu’ils n’ont pas la sécurité de l’emploi. Le but est alors d’empêcher la désertion et de garantir un comportement favorable des harkis à l’égard de la France après le cessez le feu. Selon ces rapports, ce que les harkis demandent, c’est l’assurance, traduite par les textes, qu’ils ne seront pas abandonnés par la France. C’est dans ce contexte, fin 1961, que deux décrets signés par De Gaulle instaurent un vrai statut des harkis, après 6 ans du début de la création de ces unités et 4 mois avant leur démobilisation. Ce nouveau statut donne une plus grande stabilité à l’engagement de ces hommes et des assurances comme l’allocation. On précise par ailleurs que les supplétifs « français de souche nord africaine » pourront en toute circonstances se réclamer de la citoyenneté française et bénéficier de tous les droits correspondants.
Cependant, lors des premières séances de négociations des accords d’Evian, entre mai et juin 1961, les représentants du gouvernement français n’évoquent pas la question de l’avenir des Français musulmans qui ont combattu dans le camp des Français. Ils ne l’évoquent pas non plus lors de la dernière séance en février 1962. Le cœur de la négociation porte alors sur les garanties en faveur des Européens et aucune mesure précise de sauvegarde de la communauté des Français musulmans n’est mentionnée.
L’accord de cessez-le-feu, le seul signé par les deux parties, les engageait à « interdire tout recours aux actes de violence collective et individuelle », et au fait que « nul ne pourra faire l’objet de mesures de police et de justice, de sanctions disciplinaires ou d’une discrimination quelconque, en raison d’opinions émises, ou d’actes commis avant le cessez-le-feu ». Mais aucune de ces deux mentions ne citent explicitement les Français musulmans. Par ailleurs, les signataires algériens n’étant pas les représentants d’un gouvernement légitimement constitué, ce n’est que la France qui serait liée par ces accords. Les pouvoirs publics français ne s’illusionnent guère sur la possibilité de représailles locales (Hautreux, p. 307) De Gaulle lui-même aurait déclaré que l’application des accords serait au mieux « aléatoire » (Crapanzano, p. 116). Malgré les mises en gardes des officiers qui craignent un bain de sang, le gouvernement français ordonne la démobilisation des harkis dès après la signature des accords, en mars 1962. Il s’agit alors de récupérer leurs armes et de les renvoyer à leur village.
L’ordre du 20 mars offre aux harkis trois options : la première est la possibilité de s’engager dans l’armée mais à l’échelon le plus bas, sans considération de leur échelon réel, et de servir la France pendant minimum 9 mois, quelque soit leur période d’engagement antérieure. Leurs familles ne recevraient aucun soutien, et aucun moyen de transport vers la France ou l’Allemagne ne serait mis à leur disposition. La 2ème option propose un retour à la vie civile avec une prime en fonction de leur période de service. Et la dernière option leur donne un délai de réflexion de 6 mois, pendant lesquels ils peuvent travailler comme auxiliaires mais non armés. Vincent Crapanzano rapporte que 1.500 auxiliaires sur 70.000 choisissent la première option, de s’engager dans l’armée et d’aller en France, mais face à la difficulté administrative de cette demande, ils n’arrivent pas à se procurer les papiers nécessaires et finissent par se réfugier dans une caserne pour éviter d’être tués par le FLN. La vaste majorité retint la deuxième option, c’est-à-dire le retour à la vie civile. Mais la majorité des harkis indiquent qu’ils n’avaient pas eu vraiment le choix et qu’on leur avait simplement ordonné de rentrer chez eux, ou bien, qu’ils n’avaient pas compris le choix qu’on leur soumettait. Ils décrivent alors la confusion qui régnait dans leurs rangs, ainsi que la peur et l’incertitude. (Crapanzano, p. 113)
Entre avril et mai 1962, la majorité des supplétifs algériens sont désarmés et démobilisés. Souvent le désarmement est opéré par surprise, les troupes entourant les harkas au lever du jour et braquant leurs mitrailleuses sur les harkis et leurs familles pour récupérer les armes, ou encore par ruse, en demandant aux harkis de rendre leur arme sous prétexte de leur en remettre une plus sophistiqué. Le fait d’avoir été renvoyés chez eux, sans leurs armes devient le symbole de la trahison pour les harkis. Quelques officiers en revanche laissent l’armement à leurs subordonnés, ou les incitent à déserter avec les armes. Par ailleurs, les officiers s’efforcent de convaincre les harkis de fuir mais obtiennent peu de résultats, croyant à la promesse de paix.
Pourtant, entre le cessez-le-feu et l’indépendance, des centres d’interrogatoires et des tribunaux algériens commencent à effectuer des arrestations et exécutions sur lesquels le blackout est total. Des directives du FLN circulent à cette époque et rappellent que le moment attendu n’est pas encore arrivé et que le jugement final des harkis aura lieu dans une Algérie libre. En attendant, les directives demandent de surveiller ces « égarés abandonnés » dans leurs moindres gestes et activités, et d’inscrire leur nom dans une liste noire qu’il faudra conserver minutieusement.
Le terme harki se généralise progressivement pour désigner de manière indistincte toutes les unités supplétives, c’est-à-dire les anciens partisans de la présence française, et plus généralement tout traître potentiel au nouveau régime. Les harkis deviennent ainsi les boucs émissaires et finissent par symboliser la cause de la division de l’identité nationale algérienne (Crapanzano, p. 123). L’Algérie est fondée avec ce sacrifice, dit Vincent Crapanzano, cette mise à l’écart du mauvais objet, dans l’impossibilité d’avoir un sens interne de cohésion, de l’union dans le pays, sachant que les harkis tiennent encore aujourd’hui le rôle d’ennemis d’Etat dans la rhétorique politique du gouvernement algérien (Crapanzano, p. 143). Et la « chasse aux harkis » s’inscrit dans cette logique.
Mais à partir du mois de mars 1962, rappelle Maurice Faivre, le comité des affaires étrangères n’évoque plus le sort des Français musulmans, sinon pour prescrire leur licenciement (3 avril), et contrôler leur rapatriement (23 mai) qui a été discrètement entravé par les politiques françaises. Aucune initiative ne pouvait être prise par des officiers ou par des harkis, aucune entrée sur le territoire sans l’autorisation du haut-commissaire. Voici le discours du ministre des affaires algériennes, Louis Joxe, à l’Assemblée en juin 1962, une semaine avant le début des massacres de masse : « les officiers qui veulent ramener leurs hommes font preuve d’un condamnable instinct de propriétaire, exercé sur des personnes dont ils violent la liberté de choix afin de constituer en France des groupements subversifs ». Joxe va encore plus loin et ordonne de rechercher tant dans l’Armée que dans l’administration, des moteurs et des complices du rapatriement des harkis et « de prendre les sanctions appropriées » à leur égard (Crapanzano, p. 141). Le comité des affaires algériennes décide également que contrairement aux stipulations des accords d’Evian, l’exercice de la nationalité française, reconnue aux Algériens musulmans, sera « subordonnée à une déclaration », c’est-à-dire une manifestation individuelle de la volonté d’être français devant un juge qui détient la dernière décision.
Vient ensuite l’indépendance et avec elle, le massacre de masse des harkis, pratiquement dans toutes les régions d’Algérie. Le gouvernement De Gaulle ne tente presque rien à ce moment-là pour arrêter le bain de sang. Une note très restrictive sur la protection des harkis précise « qu’il y a lieu de ne procéder en aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis et de leurs familles ». (Faivre, p. 179) Et malgré l’intensification du massacre fin juillet, le ministre Joxe suspend tout rapatriement. Il fallut attendre le mois de septembre, suite à des représailles féroces, pour que les rapatriements reprennent sur ordre du Premier Ministre. Le général Brébisson indique dans une correspondance que la répression contre les anciens harkis, revêtait « une forme d’extrême violence, allant des brimades dégradantes aux exécutions sommaires et aux supplices. » Les atteintes aux corps co-existent avec des formes plus encadrées, comme les arrestations et les emprisonnements arbitraires. Les rapports militaires français relèvent aussi des taxations, des menaces et des condamnations à des peines de travaux forcés. La terreur vise aussi les familles, viols des femmes et mariages forcés des filles. Ils furent au total entre 60.000 et 150.000 à être torturés, mutilés ou tués par la population algérienne, encouragée la plupart du temps par le FLN.
Certains harkis n’avaient nulle part où trouver refuge. Ils vivaient dans des grottes, voyageant de nuit et toujours exposés au danger, sans savoir ce qu’il était advenu de leur famille et sans jamais avoir suffisamment à manger. D’autres sont accueillis dans des camps militaires en Algérie, avant d’être transférés en France dans des bateaux de façon presque clandestine, sans qu’ils ne sachent ni où ils allaient, ni ce qui les attendait. Cependant, en août, face à l’exode régulier vers les centres d’hébergement en Algérie, les demandes d’asiles ne sont plus accordées que de façon individuelle et exceptionnelle. Et en octobre, on suspend toute nouvelle admission dans les camps en Algérie.
Il est presque impossible de déterminer le nombre exact de supplétifs qui ont réussi à gagner la France. Entre 1962 et 1968, il semble y avoir 140.000 réfugiés algériens qui rallièrent la métropole. Il y avait deux catégories de Harkis, ceux qui sont arrivés par leurs propres moyens et ceux qui ont été pris en charge par l’armée. La première catégorie devait prouver qu’ils avaient dû quitter l’Algérie pour des raisons d’ordre politique ou de sécurité, sinon ils étaient renvoyés en Algérie. La seconde a été envoyée directement dans des camps de transit, particulièrement isolés, jusqu’à ce qu’ils trouvent du travail. Ils étaient transférés aux camps dans des camions, entassés, et dans la nuit pour que la population ne prenne connaissance ni de leur arrivée, ni de leur existence.
Ceux qui ont dû rester dans les camps y ont été incarcérés. Il y avait une discipline militaire stricte (salut du drapeau le dimanche matin, et obéissance inconditionnelle au chef), des clôtures barbelées, les miradors et un couvre-feu fixé à 22h. Toute personne qui voulait sortir devait y être autorisée. Les enfants n’étaient pas scolarisés dans des écoles du village mais à l’intérieur des camps. L’éducation ainsi que l’administration des camps étaient gérées par des anciens officiers d’Algérie ou encore par des pieds-noirs, censés selon les autorités « connaître la mentalité arabe » (Crapanzano, p. 185). Les fonctionnaires responsables de la gestion des camps sont décrits comme étant corrompus, faisant payer par exemple aux résidents les vêtements donnés par la Croix Rouge Française, et se servant des fonds de gestion des camps qui est restée longtemps opaque.
Les conditions de vie dans les camps étaient par ailleurs misérables, 2 ou 3 familles devant partager 15m² dans des baraquements déplorables et froids, remplis de cafards et de vermines. Pas de douche, ni de toilette au départ, et ensuite une douche collective hebdomadaire. La nourriture est très insuffisante, l’eau courante n’est pas installée. La mortalité infantile est très élevée, on enterre les bébés dans des tombes anonymes à l’intérieur des camps, les maladies sévissent et le transfert des malades vers les lieux de soin sont empêchés par le commandant du camp pour ne pas encombrer les hôpitaux.
Les harkis sont séparés par ailleurs du reste de leur famille, parce qu’il y a ordre de ne pas laisser les familles ensemble pour empêcher la recréation de douars, ou d’autres communautés fondées sur l’origine. Plus d’un harki était sous état de choc à son arrivée dans ces camps isolés. L’alcoolisme, la psychose et l’apathie généralisée touchaient particulièrement les hommes qui avaient peur d’un contact avec le monde extérieur, qui avaient perdu tout courage et dignité et se retrouvaient marginalisés (Crapanzano, p. 177) Les fauteurs de troubles, eux, étaient envoyés dans des asiles psychiatriques où on leur administrait des neuroleptiques si puissants qu’à leur retour au camp, selon les témoignages, ils devenaient des âmes vides.
Cependant, la question du relogement et de la réinsertion des anciens auxiliaires a été loin d’être prioritaire pour les pouvoirs publics. Dans un entretien réalisé en 1991, le général Buis justifie cette discrimination par la nécessité d’accueillir au même moment des pieds-noirs, « tâche prioritaire s’agissant d’ayants droit » (Hautreux, p. 378).
Beaucoup ont été déplacés vers les hameaux de forestage, mais rares étaient les hameaux qui facilitaient l’intégration des harkis, puisqu’ils étaient particulièrement isolés. La plupart constitiuaent alors des enclaves de harkis, quasiment sans contact avec la société française (Crapanzano, p. 184). Les harkis étaient isolés, non seulement des Français mais également des autres immigrés. Dans certains hameaux, les pieds-noirs avaient tendance à se conduire en despotes, en imposant une discipline rigide et parfois abusive.
Les hameaux de forestage, comme tous les autres camps semblent être une perpétuation du colonialisme en France (Crapanzano, p. 189). Comme en Algérie, l’appréciation des autorités vis-à-vis des harkis (jugé primitifs, racialement inférieurs, incapables de gouverner de manière civilisée) les a conduits à adopter une ligne politique de maîtrise totale.
Todd Shepard fait référence, dans son livre 1962, au défi lancé par les nationalistes anticolonialistes à la domination française, mettant au grand jour la façon par laquelle la République appliquerait ou pas l’un des principes fondateurs de 1789, celui de la citoyenneté une et indivisible. Avec la partition binaire qui a été opérée en 1962 entre les Français et les Algériens, on reconnaissait finalement une différence de nature raciale entre ces deux groupes, l’un excluant l’autre, et l’on contredisait le texte de la Constitution de la Ve République, en 1958, qui avait fait de tous les habitants de l’Algérie des citoyens français. Les « nouvelles catégories juridiques » adoptées à l'été 1962 ont en effet établi une différence entre les rapatriés et les réfugiés. Tandis que les premiers restaient français, les seconds apprenaient qu'ils étaient désormais de nationalité algérienne. En affirmant, en juillet 1962, que le terme de rapatrié ne s'appliquait « évidemment pas aux musulmans », De Gaulle a mis en cause « l'un des éléments essentiels des accords d'Evian : le droit, pour tous les habitants de l'Algérie, de garder leur nationalité française ». Les nouvelles conditions d’accession à la nationalité française ont rétabli la différenciation coloniale entre citoyens de droit local et de droit commun. Et plus fondamentalement cette décision a entériné l'idée selon laquelle les « citoyens français musulmans d'Algérie » appartenaient à un « groupe ethno-racial différent du reste des Français ».
Les harkis qui sont venus en métropole à l’aide de l’armée ou ceux qui ont pu prouver leur « harkéïté » ont dû passer devant un juge pour montrer leur motivation et demander de garder la nationalité française. Mais cette nationalité ne leur a pas permis pour autant d’être considérés comme des citoyens français, leur incarcération dans les camps en donne un exemple. Un autre exemple concerne l’application de la loi Boulin. Cette loi donnait quelques avantages aux Français ayant dû quitter, par suite d’événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté de la France. Il s’agissait d’avantages comme la prestation de retour, les prêts à taux réduits, les facilités d’accès à la fonction publique, etc. Mais le changement qu’ils ont apporté à cette loi en mars 1962 a privé les harkis des avantages des rapatriés. Voici le discours de Boulin à l’assemblée pour justifier le changement apporté à la loi : « Ces musulmans n’étant pas adaptés à la vie européenne, il serait inopportun de leur attribuer l’aide prévue en faveur des rapatriés sous forme individuelle. Les intéressés devront au contraire continuer à bénéficier d’un certain encadrement dans leur travail et dans leur hébergement. C’est pourquoi, en ce qui les concerne, il est indispensable de bloquer les différentes formes d’aide (prestations de retour, subventions d’installation, etc...) de manière à constituer un fonds permettant de les prendre collectivement en charge et de financer leur réinstallation. »
Progressivement, les harkis sont ainsi privés du droit des rapatriés et de la citoyenneté (Shepard, p. 378). Todd Shepard suggère que la prise en compte des harkis comme un groupe étranger à intégrer est ce qui a permis au gouvernement de pouvoir les encadrer de la sorte, de les enfermer dans les camps, mais selon quelle juridiction ? Le gouvernement ne se trouvait-il pas ainsi dans une para-légalité, si ce n’est même dans l’illégalité ?
Les harkis n’ont trouvé aucun soutien dans l’espace politique qui y fasse advenir ces questions. La gauche ne s’est pas sentie concernée par la question des harkis, les considérant comme des traîtres, des collabos, voire des fascistes à l’image de l’OAS, ou de l’extrême droite. Le massacre du 17 octobre 1961 joue sûrement un rôle important dans cette considération de la gauche. Maurice Papon, futur condamné pour crime contre l’humanité à cause de son rôle dans la déportation des Juifs bordelais est alors préfet de police de Paris et il fait jouer un rôle actif aux harkis dans la répression meurtrière des algériens lors de la manifestation organisée à Paris par le FLN (Crapanzano, p. 79). Plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de manifestants furent tués et leurs corps jetés dans la Seine. La gauche a fait porter la responsabilité de ces massacres aux harkis, qu’ils désignaient dès lors comme des hommes instinctifs et primitifs (Crapanzano, p. 82). Cette position où une minorité ne trouve aucune place dans l’espace politique rappelle la position de subalternité dont parle Spivak, avec une exclusion radicale de la sphère de la représentation politique (Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, Ed. Amsterdam, Paris, 2020).
Ils sont donc exclus de la parole dans l’espace public, mais ils sont également invisibilisés. On les transfère dans les camps en plein nuit et on les y incarcère. Ces deux exclusions rappellent le mécanisme de démenti dont parlent Livio Boni et Sophie Mendelsohn dans leur livre, en passant entres autres par l’exemple des deux massacres, celui de Sétif en 1945 et celui de Paris en 1961. Ils relèvent comment le fait de cacher les corps dans leurs réalité numérique et/ou physique a rendu ces morts inénonçables, inexistants (Livio Boni et Sophie Mendelsohn, La vie psychique du racisme, Ed. La Découverte, Paris, p. 173-174). Ce n’est pas, donc, que l’existence des harkis ait été oubliée ou refoulée, parce que pour être oubliée, il faut encore qu’elle soit inscrite dans la représentation, qu’elle soit reconnue. Les harkis sont ainsi devenus la part inavouée et démentie d’une rémanence de la politique coloniale française sur le territoire hexagonal.
Les camps peuvent être considérés commr le lieu mais également comme le symbole de l’abandon (Crapanzano, p. 248). Rejetés de la représentation, les harkis ont été réduits à leur être abject, de déchet, dont tout le monde voudrait se débarrasser. Qu’est-ce que c’est que vivre au milieu d’un peuple, demande Vincent Crapanzano, un peuple qui vous préférerait ailleurs, qui aurait aimé ne jamais vous savoir là, obligé qu’il est de vous accepter ou du moins de vous accorder une place qui n’en est pas pourtant une (Crapanzano, p. 20) ? Quel est le statut existentiel de cette mise à l’écart qui les renvoie à leur solitude, leur honte, leur culpabilité, leur déshonneur et leur défaite ? Ils sont réduits à une forme d’indignité, puisqu’ils ne relèvent même pas du droit commun. Les harkis ont été tués symboliquement, ils ont été abandonnés par tous, contraints donc au silence, à un silence de mort, ou de « soldatmort » comme dirait Zahia Rahmani, qui consacre son livre Moze à son père harki tout entier défini par la honte, par sa mise au ban de la communauté humaine (Zahia Rahmani, Moze, Ed. Sabine Wespieser, Paris, 2016, p. 20).
Le sens de la trahison dont parlent les harkis réside également ici. En ne respectant pas ses engagements, la France continue de faire des harkis des citoyens de seconde zone, des citoyens qui n’en sont pas. Les harkis sont devenus le spectacle des promeneurs du dimanche qui venaient les regarder comme on vient regarder les animaux dans un zoo. C’est ainsi, en arrivant en France, que les harkis ont pris conscience qu’ils faisaient partie d’une catégorie de sous-hommes. Le fait qu’on les entasse dans des camions comme du bétail, qu’on les cache aux citoyens français en les transférant en pleine nuit, qu’on les enferme dans des camps entourés de barbelés, et qu’on les abandonne à la misère sont autant de marques quotidiennes de leur être-déchet. Cette mise à l’écart de la société fait aussi de leur identité, une identité figée, irreprésentable, qui n’existe que dans son rapport au réel du corps, une identité qui colle à la peau. Ils ne peuvent plus oublier qui ils sont, ils ne peuvent pas tourner la page.
Les harkis, fantômes de leur propre histoire ne parlent pas, mais ressassent l’abandon et la trahison. Ils ne disent rien sur le plan subjectif, rien de leur choix, ni de leur vécu. Le récit de la fuite constitue le seul récit possible, le point d’origine. Le silence, l’incompréhension, le regret, faire face à la possibilité que ça aurait pu être autrement les envahissent. Les harkis sont pris à leur insu dans une histoire qui les dépasse et qu’ils ne seraient jamais à même de comprendre (Crapanzano, p. 110). Ils résident dans une mélancolie, où le temps reste suspendu dans un silence. Les harkis deviennent les prisonniers d’une mémoire, d’un passé qui ne passe pas et qui hante leur psychisme, qui parle dans leur tête à leur place. « C’est fini, il faut oublier », disent-ils, avec un entêtement tel qu’il expose l’impossibilité même de cet oubli. Le silence des harkis est un silence qui laisse intacts les souvenirs, c’est un silence qui sature la mémoire (Crapanzano, p. 243).
Il n’y a dès lors plus aucune autre possibilité d’existence que leur « harkéïté ». Ils sont pris au piège d’une identité floue qui les déshistoricise, qui passe sous silence l’infini diversité des situations, accordant une place démesurée à leur ancien statut de supplétif. Cette identité n’est pas tant historique que politique. Elle est le produit du colonialisme, le signe de ce passé que la France essaye d’évacuer. Les harkis sont déchus, sans territoire. Leur identité s’immisce dans les interstices, entre la France et l’Algérie. Ils se sentent ostracisés et profondément exilés. « Ostracisés par les Algériens, ils sont encore Algériens aux yeux des Français et en tant que tels, ne sont Français qu’au plan juridique, et non culturel ». Les harkis fondent alors une communauté de mémoire, unis par une épreuve commune de cet exil (Crapanzano, p. 225).
Un nom les hante, celui de traître. Les harkis sont des porteurs de la honte, ils endossent le stigmate de la traîtrise. Et rien dans leur condition ne vient évacuer ce poids, avec l’humiliation que leur impose la France, qui leur donne des bouts de reconnaissance et des indemnités qui arrivent aux compte-gouttes. L’atroce solitude dans laquelle les laisse l’abandon, l’abandon par les siens et l’abandon par les Français, se perpétue dans ce silence qui n’offre rien à oublier, ni à transmettre.
Le silence de leurs pères renvoie les descendants à une mémoire absente, à un souvenir de non-souvenir. Mais qu’est-ce que leurs pères ont réellement fait et pourquoi ? Comment se construire, défendre une identité, sans savoir ce qu’elle suppose dans les faits ? Dans l’impossibilité de pouvoir répondre à ces questions, faute d’avoir donc une histoire particulière, les enfants de harkis investissent une histoire générale, l’histoire mémoriale des pères (Crapanzano, p. 265). Il semble y avoir deux façons différentes de traiter cette question selon qu’on est fille ou fils de harki. Les filles investissent la lettre, l’écriture, trouvant un moyen de récit, et les fils investissent le corps, l’organisation des manifestations, des grèves de la faim, etc. pour obtenir la reconnaissance et les excuses. Mais quel est le registre de leurs revendications ? Quelle serait la reconnaissance possible qui permettrait aux descendants de s’extraire du piège identitaire ? Parlons-nous de la reconnaissance de ce que leurs pères ont fait pour la France, ou de ce que la France a fait à leurs pères, ainsi qu’à leurs enfants ? Ce que les descendants reprochent à la France est moins de ne pas avoir reconnu les sacrifices des harkis comme expression d’un dévouement patriotique que de ne pas leur avoir reconnu une dignité de sujet lors de la mise en place des dispositifs de décolonisation et de reclassement. (Giulia Fabbiano, « Devenir Harki : les modes d’énonciation identitaire des descendants des anciens supplétifs de la guerre d’Algérie », Migrations société, p. 170) Si enjeu de reconnaissance il y a pour les harkis de la part de l’Etat français, c’est celle qui permettrait un renversement de l’indignité accolée à leur nom, une ouverture vers une possible libération de la honte (Maël Le Garrec, « Libérer la honte : héritage harki et écriture féminine », séminaire Collectif de Pantin, séance du 13 mars 2021).
Par Meltem KUTAHNECI-ROGER, le 10 avril 2021